Calgary, septembre 2019. Rob Maciak, un anglophone francophile, veut préserver son français dans une province qui n’a pas un passé de première de classe en matière de respect du bilinguisme.

Puisque c’est par un contact quotidien avec une langue qu’il devient possible de la garder en vie, il programme sa carte bancaire en français. Lorsqu’il se déplace en transports en commun, les billets payés avec sa carte sont automatiquement imprimés en français. Jusqu’ici, tout va bien. Une histoire banale d’un citoyen qui, par des petits gestes, souhaite être exposé aux deux langues officielles du pays.

Les choses se corsent, toutefois. À plusieurs reprises, M. Maciak se voit refuser l’accès aux transports en commun puisque certains chauffeurs du Calgary Transit jugent que son billet n’est pas valide. Comme plusieurs citoyens, M. Maciak se tourne vers les réseaux sociaux pour dénoncer une situation absurde. C’est là que les choses deviennent encore plus laides. Il se fait insulter, se fait dire de retourner chez lui… en France. Il reçoit même des menaces de mort.

Le français fait peur. Ce n’est pas un phénomène nouveau ; c’est la résurgence de vieilles blessures mal pansées.

Dans le climat politique actuel où le bilinguisme est présenté dans certaines provinces comme une dépense frivole, inutile, ce genre de discours prônant l’unilinguisme n’est pas une exception.

Les origines d’une loi

Canada, 1963. Le Front de libération du Québec pose ses premières bombes. Le nouveau nationalisme se manifeste avec éclat dans la province francophone. À quelques années du centenaire du pays, des responsables politiques et citoyens s’inquiètent de la pérennité de l’aventure canadienne. Les intellectuels sont nombreux à dénoncer le phénomène des « deux solitudes » entre le Canada anglais et le Canada français, et cherchent à instaurer des espaces de dialogue pour imaginer des solutions.

Suivant les propositions de l’intellectuel André Laurendeau, le premier ministre du Canada, Lester B. Pearson, crée la Commission royale d’enquête sur le bilinguisme et le biculturalisme, mieux connue sous le nom de commission Laurendeau-Dunton. C’est dans le sillage des recommandations de la Commission que la Loi sur les langues officielles, qui a eu 50 ans le 7 septembre dernier, est promulguée.

PHOTO SEAN KILPATRICK, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

« Il faudrait que les candidats et les chefs de parti cessent de prêcher dans les cercles de convertis », écrit Valérie Lapointe-Gagnon.

Laboratoire intellectuel impressionnant, rassemblant des chercheurs de partout au Canada et sur la scène internationale, la Commission a fourni un socle conceptuel incontournable pour penser les rapports de force entre les langues et les cultures. La mésaventure de M. Maciak invite à retourner à l’esprit de Laurendeau-Dunton et à ce qu’elle recommandait pour installer un climat de paix linguistique.

Dans le premier volume du rapport final consacré aux langues officielles et paru en 1967, la Commission montre l’attitude que devrait avoir une majorité pour apaiser les tensions. Elle rappelle qu’une majorité n’est pas menacée (elle a la force du nombre) et qu’en conséquence, elle peut se montrer généreuse envers une minorité. Une majorité doit respecter la langue de la minorité en communiquant avec elle dans un style qui n’est pas blessant.

La Commission insiste sur l’importance des communications officielles et des traductions faites de manière professionnelle. Impossible ici de ne pas faire un clin d’œil à l’équipe libérale en levant une « main haute » à sa défunte chanson de parti. On peut aussi penser à tous ces sites web du gouvernement fédéral traduits par des logiciels qui massacrent quotidiennement le français.

La Commission poursuit en soulignant qu’une majorité doit prendre en partie en charge les coûts du bilinguisme et accorder au groupe minoritaire l’autodétermination linguistique nécessaire pour préserver sa langue.

Revenir sur ces principes énoncés après une longue réflexion et un travail de terrain extensif permet de constater à quel point ils sont constamment bafoués.

À l’heure actuelle, il y a six provinces et un territoire devant les tribunaux pour contester le coût des écoles francophones de qualité équivalente à celles des anglophones. Comment choisir l’éducation en français quand les établissements n’ont pas de fenêtres, pas de gymnase, pas de services ? Pourtant, la demande est là. Les écoles francophones débordent et on peine à trouver des enseignants pour y travailler.

Dans les années 60, les Canadiens ont négocié un nouveau contrat social basé sur la reconnaissance de deux langues officielles au pays. C’était une question de justice, pour redonner de la fierté à ce Canada français que des élites avaient tenté, sans succès, de rayer de la carte.

Il s’agissait aussi d’un projet rassembleur (plus que l’unilinguisme) à même de faire rayonner les cultures multiples. Le Canada, qui cherchait son identité propre, n’était ni états-unien ni britannique. Il devait composer avec cette dualité particulière qui lui permettait de se distinguer.

Il y a plusieurs projets sur la table en ce moment pour faire avancer le dossier des langues officielles, dont la modernisation de la Loi de 1969, qui n’a pas été remaniée de manière considérable depuis 1988, et qui a montré ses limites.

Alors que nous sommes en campagne électorale, il faudrait aussi que les candidats et les chefs de parti cessent de prêcher dans les cercles de convertis, et articulent un discours sur ce dossier qui s’adresse à l’ensemble de la population canadienne, pour contrer les messages de haine et de peur. L’acceptabilité sociale du projet en dépend.

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