Alors que l’on souligne les 10 années écoulées depuis la fin abrupte de notre écrivaine maudite, l’usage adroit de sa plume, tout aussi crue que cruelle et offrant une vue rarissime sur notre ère, se voit enfin autant reconnu que son décolleté.

Il n’en demeure pas moins que la tendance à présenter l’auteure comme une avant-gardiste méconnue de son temps semble mésestimer l’ostracisation spécifique de la « race des femmes payantes ». Peut-être qu’après tout, il est plus commode de balayer sous le tapis les fondements mêmes de sa posture, à savoir sa trajectoire de fille négligée à femme-prostituée.

Morcelée entre la figure de la « femme de lettres » et celle de la « femme publique », la société peine à supporter une telle antithèse.

Or, une descendance de filles abusées trimbalent toujours leur carcasse d’un Monsieur à l’autre, puis une cohorte de putains affublées de leur « burqa de chair » quémandent encore la délivrance.

De par le verbe de Nelly fendant la mer Rouge, c’est prise avec elle-même, mais résolue à atteindre la rive de l’humanisation, qu’elle commença la traversée, malgré la dérive de tant d’autres schtroumpfettes déchues. Sanctifiée Marie-Madeleine québécoise, elle nous a légué son miroir de courtisane, à jamais et pour une rare fois, retourné vers la foule voyant, si elle se donne la peine, le reflet de la honte subie par les noyées.

En pécheresse auréolée, l’écrivaine souhaitant transcender la putain n’était autorisée qu’à porter les dommages du marquage de la spécialisation de son corps à des fins non reproductives et commerciales.

À l’instar de Nelly, je pensais également pouvoir invisibiliser ces marques et apercevoir la berge en y mettant beaucoup du mien.

Mais, à l’aube de 2019, je me suis, dans un grand coup que l’on n’avait pas prévu esquiver, souvenue de la foule et de la honte.

Une directrice d’un centre de recherche sur les femmes a expliqué en entrevue que « demain matin, personne va embaucher quelqu’un qui s’est déjà prostitué ». Même en militante féministe et en me tuant pour figurer sur tous les tableaux d’honneur, il y a une rupture empathique qui empêche le vrai monde de nous concevoir en collègues, en madame Tout-le-Monde.

Avec sa chair de putain, l’écrivaine en elle ne pouvait jaillir du vide. En toute lucidité, elle arborait en vétérane les traces de la putasserie infligée. Et d’un sexe à un spectre, en tout temps en trop, une question l’obsède : « Comment cette masse de putains a-t-elle pu se former ainsi, à l’insu de l’intérêt public ? »

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