Il serait difficile de prétendre que le marché montréalais du logement fonctionne mal, abstraction faite du sous-financement chronique du logement social*. Comparés à ceux d’autres villes, nos prix restent remarquablement abordables, un succès dont Montréal peut être fier.

Ce succès montréalais n’est pas le fruit du hasard, mais de pratiques dont les marques de commerce sont le pragmatisme et la simplicité. À la différence d’autres grandes villes du continent, les édiles de Montréal ont eu la sagesse de ne pas imposer de charges de développement aux promoteurs.

Ces charges (de l’ordre de 36 000 $ pour un appartement avec deux chambres à coucher et plus à Toronto) constituent dans les faits une taxe sur la construction qui se traduit par des prix plus élevés. Toutefois, l’effet le plus pernicieux réside dans leur caractère bureaucratique, la nécessité de souvent négocier des charges au cas par cas (pour l’eau, la police, les loisirs, les transports, etc.) agissant alors comme un frein à la rapidité d’exécution. 

Montréal a largement réussi à éviter ces dédales bureaucratiques dont le résultat est un marché du logement plus flexible avec des temps de réaction plus courts, régime qui a également favorisé la survie de petits entrepreneurs.

Le pragmatisme montréalais se voit aussi dans la Stratégie d’inclusion de logements abordables dans les nouveaux projets résidentiels adoptée par la Ville en 2005 et amendée en 2015.

En quelques mots, la Stratégie demande aux promoteurs de projets résidentiels de 100 logements et plus nécessitant une modification réglementaire majeure de réserver 15 % des espaces prévus pour des logements sociaux et 15 % pour des logements abordables. Le promoteur peut aussi choisir de verser une contribution financière.

Je ne veux pas entrer dans une analyse détaillée de la Stratégie ; elle peut sans doute être améliorée. Elle semble de toute évidence bien fonctionner, sans pour autant (évidemment) combler le vide laissé par le sous-financement public du logement social. Point majeur : les promoteurs touchés y ont adhéré, semble-t-il, sans grand problème, nonobstant son caractère purement incitatif, un signe, il faut le croire, de sain partenariat entre la Ville et le secteur privé. La recette montréalaise fait aujourd’hui école, citée comme modèle à suivre en matière d’inclusion et de logement abordable.

Pourquoi changer la recette ? C’est la question. Or, le règlement 20/20/20 ne s’arrête pas à vouloir bonifier la recette, il propose carrément un changement de philosophie en commençant par son caractère désormais obligatoire. Le changement se voit aussi dans son application désormais à tout nouveau projet de 50 logements et plus (100 avant), dont les projets conformes au zonage. Mais le changement majeur se trouve dans sa complexité d’application. Le promoteur aura désormais à naviguer dans une forêt réglementaire qui n’aura rien à envier à d’autres villes.

Je ne demande pas au lecteur de me croire sur parole. Je l’invite à consulter le document de la Ville.

Il y découvrira, par type d’édifice et de quartier, les barèmes pour les contributions au volet social et les loyers plafonds pour les logements abordables, ainsi que les jeux d’imbrication entre ces deux volets et le volet familial (d’où le 20/20/20).

À titre d’exemple, le quart des logements familiaux pourraient être englobés dans le logement abordable (20 %) pour faire 5 % de logements familiaux abordables. Les différents montages 20/20/20 semblent laisser beaucoup de place à la négociation (du moins, c’est ma lecture) et ne sont pas toujours faciles à suivre.

On ne peut pas pour autant accuser les artisans du règlement d’avoir fait un mauvais travail. Ils ont toute mon admiration. Ce n’est pas évident, faire un règlement qui fixe 60 % du contenu sans trop perturber le marché. Sa complexité était inévitable, inscrite dans la promesse politique 20/20/20. Les artisans du règlement ont fait appel à des études économétriques du CIRANO, boîte sérieuse, qui prévoient des effets haussiers possibles sur le prix (moyen) du logement à Montréal allant de zéro à 4 %. Ce sont des repères utiles, mais incomplets.

Les modélisations économétriques, aussi bien faites soient-elles, peuvent difficilement intégrer des effets possibles de dissuasion provoqués par la complexité des nouvelles démarches administratives.

Nous restons donc dans l’inconnu sur les impacts possibles sur l’offre de logement à moyen terme. Tout frein aura forcément un effet haussier sur le prix.

Pour conclure, le règlement 20/20/20, dans sa mouture actuelle, risque de rendre le marché du logement montréalais moins (pas plus) abordable, sans pour autant régler le problème du sous-financement public du logement social. La bonne recette pour produire des logements abordables est de faciliter la construction, non pas de la rendre plus compliquée. Ironie ultime : une politique en principe progressiste risque à terme de produire des effets inéquitables. 

Toute hausse du niveau des prix, ne serait-ce que de 4 %, se traduira par un transfert de richesse au profit des propriétaires actuels au détriment des acheteurs et locataires futurs. Je me demande alors pourquoi j’écris ces lignes, heureux propriétaire d’une maison à NDG (hypothèque payée). En supposant une hausse de 4 %, le règlement me fera un cadeau de quelque 40 000 $ non imposables.

* LISEZ : Deux réalités opposées

Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion