Qui n’aime pas les récits de courage et de persévérance ? Qu’il s’agisse d’une réussite personnelle ou professionnelle parsemée d’obstacles, nous nous émerveillons face à ces conquêtes improbables. Le parcours du chef du Nouveau Parti démocratique, Jagmeet Singh, tombe aisément dans cette catégorie.

Ses parents ont émigré au Canada dans les années 70. Son père, médecin dans son Punjab natal, a dû se requalifier pour pouvoir exercer son métier au Canada. Après sa naissance, ses parents ont choisi d’envoyer M. Singh en Inde avec ses grands-parents tellement leur avenir était précaire au Canada.

À un jeune âge, il a été victime d’une agression sexuelle. Tout au long de son adolescence, l’intimidation était au centre de son univers – sa religion (particulièrement le port du turban) et la couleur de sa peau, moquées par ses pairs. Il a suivi des cours d’arts martiaux et a appris à se défendre. Son père a plus tard sombré dans l’alcool, et M. Singh a dû l’expulser du domicile familial. La famille s’est retrouvée avec de sérieux ennuis financiers et sans réel domicile fixe.

M. Singh a réussi à faire ses études en droit, à apprendre le français et à entamer une carrière d’avocat qu’il a abandonnée pour se lancer en politique provinciale.

Partout où il passait, M. Singh faisait tourner les têtes. Bien sûr, les turbans colorés, mais aussi son discours progressiste et ses allures hip.

Sa poussée remarquable s’est poursuivie en octobre 2017 lorsqu’il a gagné la course à la direction du parti qui venait de montrer la porte à Thomas Mulcair. J’avais suivi avec attention cette course et, comme plusieurs, je croyais qu’il allait se révéler un adversaire redoutable pour les libéraux.

Glissade

Mais depuis, presque rien. Des militants déçus partout au pays. Bien sûr, M. Singh s’est fait élire le printemps dernier dans une élection partielle en Colombie-Britannique. Mais le parti avait déjà entrepris une puissante glissade vers le bas dans les sondages.

On lui a reproché son absence prolongée d’Ottawa, sa préparation approximative pour ses entrevues et son absence de sensibilité aux disparités régionales canadiennes. Les sondeurs prédisent maintenant l’anéantissement au Québec pour les néo-démocrates.

M. Singh est-il tout simplement incompétent ou l’électorat est-il mal disposé pour un chef qui affiche sa religion aussi ouvertement ?

Tombés d’abord dans l’indifférence face à la religion, les Québécois (beaucoup plus que les Canadiens anglais) exercent maintenant un zèle dans le rejet des dieux et de leurs diktats. Ceux qui croient sont vus avec grande méfiance. Pourtant, la majorité d’entre nous au Québec sont les enfants (ou les petits-enfants) de croyants.

Je suis de la génération qui allait à la messe le dimanche. Lorsque ma grand-mère me reconduisait à notre bord de mer l’été, nous récitions le chapelet. Oui, le chapelet. Si vous voulez avoir l’air « smatte » à un dîner entre amis, demandez-leur combien de grains se trouvent sur un chapelet. Petit, j’avais l’impression qu’il y en avait des centaines.

Mes parents croyaient à un dieu, mais n’étaient pas en mission « biblique ». L’endoctrinement familial se résumait à aider et à aimer son prochain – dans une famille de six enfants, j’observerais qu’il s’agissait d’un enseignement sage. Je me rappelle que durant mon passage à Ottawa, des journalistes étaient fascinés par les pratiques religieuses de certains de mes collègues au cabinet. Un peu comme si fréquenter un lieu de culte disqualifiait une personne d’exercer son métier.

Singh contre Trudeau

Les contrastes entre M. Singh et Justin Trudeau sont nombreux et révélateurs. Contrairement à M. Trudeau, qui justifiait son manque de sensibilité pour le blackface par l’environnement ouaté dans lequel il a grandi, vous pouvez parier que M. Singh possède des antennes empathiques particulièrement sensibles. Les fanfaronnades vestimentaires de M. Trudeau – toutes calculées pour attirer l’attention – tranchent avec le turban que porte M. Singh, qui a plutôt provoqué railleries et violence. 

Pendant que M. Trudeau se cherchait une identité à partir de la mi-vingtaine, M. Singh n’avait pas beaucoup de temps pour les introspections. Avec la descente aux enfers de son père, il devait terminer ses études en droit tout en cumulant des emplois pour subvenir aux besoins de sa famille.

Les sondages l’ont confirmé : le turban de M. Singh dérange.

Je le regardais à Tout le monde en parle dimanche et m’en étonnais. Je ne voterais pas pour lui – plusieurs des politiques de son parti ne sont pas ma tasse de thé –, mais je suis fasciné par le fait qu’une colonie de gens intéressés par les idéaux de gauche lui préfèrent M. Trudeau.

* Michael M. Fortier est banquier et un ancien ministre conservateur dans le gouvernement fédéral.

Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion