Le gouvernement du Québec a adopté dernièrement le projet de loi 9, qui vise à accroître la prospérité socioéconomique du Québec et à répondre adéquatement aux besoins du marché du travail par une intégration réussie des personnes immigrantes. Chaque fois que le gouvernement propose de nouvelles mesures en matière d’immigration et d’intégration, je ne puis m’empêcher de penser à une personne, ma maman.

« Je m’appelle Tao, comme général Tao. » Au fil du temps, ma mère a compris que son nom, bien qu'il soit composé d’une seule syllabe, est difficile à retenir. Objectivement, maman Tao est une citoyenne travaillante, éduquée, cultivée et engagée. Depuis son arrivée à Montréal en 2005, elle n’a jamais cessé de travailler fort malgré des obstacles et des difficultés. De plus, elle a pu apprendre le français. Elle compte parmi les téléspectateurs les plus loyaux du Téléjournal et de Tout le monde en parle. Or, je doute toujours que son parcours soit conforme aux critères d’un modèle d’intégration réussie.

Ma mère, originaire de Chine, est venue au Québec comme immigrante économique. Pour être admise au Programme des travailleurs qualifiés et obtenir le certificat de sélection du Québec, notre famille a été jugée par le gouvernement en fonction d’un nombre de facteurs, tels que la formation, la situation économique, les langues, l’expérience de travail, etc. Nous avons passé plusieurs tests, une entrevue à Hong Kong et d’autres formalités sur une période de plusieurs années.

En d'autres mots, je suppose que le gouvernement du Québec a examiné ma famille à la loupe et a cru que nous allions être en adéquation parfaite avec la Belle Province.

Maman Tao a apporté au Québec un baccalauréat en génie électrique et 10 ans d’expérience en comptabilité, ainsi que quelques connaissances de français.

Apprendre le français et trouver une nouvelle vie n’ont pas été des choses faciles. Peu après notre établissement à Montréal, elle a commencé les cours de français offerts par le gouvernement. Ayant suivi ces cours pendant deux ans, elle a constaté alors qu’elle ne pouvait pas se permettre d’être à l’école à temps plein à long terme. Elle m'avait, moi ! Elle s’est alors tournée vers les usines et les travaux manufacturiers tels que l’emballage dans les chocolateries, l’abattage dans les fermes, etc.

Son dépanneur

Finalement, des années de travail lui ont permis d’avoir des économies et elle a eu son propre dépanneur. Ce magasin du coin est devenu non seulement une source de revenus pour notre famille, mais aussi sa mine de bonheur. Premièrement, elle a finalement pu utiliser partiellement les compétences professionnelles qu’elle avait acquises avant de venir au Québec. Elle aimait calculer les impôts, les feuilles financières et les contrats.

Deuxièmement, à force de communiquer pour le travail, elle commençait à avoir des amis. Quotidiennement, elle conversait avec les clients, les fournisseurs et des collègues de travail, qu'elle a toujours considérés comme des amis. Les gens lui racontaient leur journée, et elle a adoré apprendre la culture et connaître le quotidien des autres. C’est durant cette période qu’elle a pris l’habitude de regarder Le banquier, Le téléjournal et Tout le monde en parle.

Fondamentalement, elle sait que ce n’est pas le fait d’avoir un dépanneur qui l’a rendue plus intégrée, mais l’ouverture des personnes.

Les gens avec qui elle interagit tous les jours se sont montrés patients et accueillants. Les gens l’ont encouragée à parler plus et lui ont offert une écoute attentive même quand elle était difficile, voire impossible à comprendre. De plus, les personnes qu’elle côtoyait prenaient le temps et la peine de lui expliquer des expressions québécoises, des situations politiques et sociales. Ce sont des connaissances qu’elle n'aurait jamais pu apprendre à l’école. La vie en communauté est une partie intégrante de la francisation et de l’adaptation culturelle et sociale. Selon elle, cette ouverture d’esprit des gens est ce qui caractérise le Québec, et elle en est reconnaissante.

Je me demande souvent : si le gouvernement du Québec avait su d'avance le sort de ma mère au Québec, aurait-il accepté de l’admettre ? En 2012, elle a vendu le dépanneur en raison de la lourde charge de travail physique. Par la suite, grâce au français qu’elle a appris, elle a pu continuer à travailler dans le service à la clientèle dans les restaurants ou les hôtels, jusqu’à aujourd’hui.

Au moment de son admission au Québec, sa candidature était considérée comme « répondant aux besoins du marché ». Cependant, la formation ou les compétences professionnelles qu’elle avait acquises en Chine n’ont jamais été reconnues ni par les employeurs ni par les ordres de professions. Elle aussi, comme n’importe quel universitaire, a fait des années d’efforts afin d’obtenir son diplôme. Je sais que maman Tao a un regret dans la vie : ne pas pouvoir travailler dans son domaine d’expertise.

Je ne suis pas certaine que de réduire la cible du nombre d’immigrants de 10 000 favorisera l’intégration, mais je sais que la reconnaissance des diplômes et de l’expérience les aiderait beaucoup.

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