Parfois, la politique est trop courageuse à notre goût, parfois elle est trop prudente.

Louangé à juste titre en 2014 pour avoir osé ouvrir l’accès à l’aide médicale à mourir à l’initiative de la députée de Joliette, Véronique Hivon, le Québec se fait maintenant condamner par la justice pour ne pas en avoir assez fait. Dans une décision concernant Nicole Gladu et Jean Truchon publiée mercredi, la Cour supérieure du Québec constate que le critère de fin de vie prévisible dans un délai limité est trop contraignant et, par ce fait, inconstitutionnel.

À la décharge du législateur québécois, il faut mentionner que l’arrêt Carter de la Cour suprême et la modification du droit criminel canadien qui a suivi cet arrêt ont été rendus après l’adoption de la loi québécoise. Celle-ci risquait même d’enfreindre le Code criminel, ce qui a clairement incité à la prudence.

Entre-temps, le débat social sur l’aide à mourir continue et avance. Et ce qu’on aime appeler la laïcisation de notre société continue à avoir des conséquences sur notre perception des valeurs rattachées à la vie humaine, à l’individu et à la fin de sa vie.

Dans ce débat, trois questions ont été soulevées auxquelles les lois québécoise et canadienne n’ont pas voulu répondre. Cette semaine, la première question, celle des personnes dont la qualité de vie est lourdement hypothéquée pour toujours par une souffrance insupportable, sans que la date de leur mort soit prévisible, a reçu une réponse claire de la Cour supérieure.

Les deux autres questions concernent le consentement de la personne qui désire qu’on l’aide à mourir. La Belgique a reçu l’attention mondiale et la condamnation de plusieurs quand elle a ouvert la porte à une fin de vie assistée pour des enfants, dans des situations bien circonscrites. La sentence de la Cour supérieure ouvre nécessairement une porte à ce débat chez nous.

La maladie d’Alzheimer

La dernière question, la plus importante en termes du nombre de personnes touchées, concerne la démence incurable, y compris la maladie d’Alzheimer. Or, également mercredi dernier, la cour de La Haye a rendu sa décision concernant un médecin néerlandais accusé de meurtre dans un cas d’aide médicale à mourir.

Il s’agit d’une personne qui, après avoir appris qu’elle était atteinte de la maladie d’Alzheimer, au premier stade et donc parfaitement lucide, avait rempli toutes les exigences légales afin de déclarer sa volonté de mourir quand certains symptômes de cette maladie du cerveau, pour l’instant incurable, se manifesteraient. Le moment qu’elle avait choisi était le moment où elle serait placée en résidence. Des médecins et la famille immédiate avaient été consultés et avaient consenti.

Le moment venu, quelques années plus tard, le médecin de la résidence a encore une fois impliqué des collègues, comme le prescrit la loi, et a obtenu leur consentement. Puis, il a agi pour mettre fin à la vie de la patiente. Cela ne s’est pas bien passé : la patiente, égarée, ne pouvait plus comprendre ce qui se passait et elle trouvait que les injections lui faisaient mal. Avec l’aide de membres de la famille et après avoir administré des calmants, le médecin a pu procéder.

La Cour a statué que le médecin avait respecté les exigences de la loi et l’a acquitté, au grand soulagement de la communauté médicale qui craignait une criminalisation de ceux qui pensent bien agir en respectant la volonté exprimée du patient quand ce dernier était lucide.

Ainsi, la question ressurgit de l’aide médicale à mourir aux personnes atteintes de démence qui, avant que cette démence ne touche leur jugement, ont exprimé leur volonté d’éviter que cette maladie abîme leur qualité de vie et leur enlève ce qu’elles considèrent comme l’élément essentiel de la personne humaine : sa conscience rationnelle et sa capacité de gérer et d’assumer sa vie.

Dans ma famille, il y a une prédisposition génétique à la maladie d’Alzheimer. La maladie a causé la mort de mon père et d’autres membres de sa famille. Les dernières années de la vie de cet homme imposant, rationnel et humaniste ont été caractérisées par les symptômes dégradants de la démence. Pour une description de ces symptômes, je vous recommande une des entrevues qu’a données le Dr Judes Poirier, spécialiste et éminent chercheur dans le domaine de la maladie d’Alzheimer. 

D’une part, on apprend que le dépistage précoce de la maladie sera bientôt possible, et de l’autre, qu’aucun remède ne sera disponible dans un avenir prochain. Donc, je suis conscient, depuis plus de 10 ans déjà, qu’il y a un risque que je sois un jour atteint de cette maladie. À ce moment-là, je saurai que j’en mourrai, après une perte graduelle de mes capacités mentales.

En tant qu’immigrant allophone, j’ajoute un autre symptôme à ceux connus de la maladie d’Alzheimer, telles l’aphasie et l’incapacité de boire et de manger. Dans mon cas, la perte de mémoire causée par la maladie risque de causer la perte de la maîtrise de ma deuxième langue, le français. Imaginez-vous la situation où je dépendrai de soins offerts par des personnes que je ne comprends plus ! Fort probablement, je ne trouverai pas de résidence au Québec où quelqu’un maîtrise ma langue maternelle, le néerlandais, une personne qui pourra me comprendre quand j’exprimerai mes besoins élémentaires.

En tant que Québécois, serai-je condamné à un retour dans mon pays d’origine pour y trouver des soins en néerlandais, ou encore pour y recevoir l’aide médicale à mourir comme l’ont fait tant de Québécois qui ont dû se rendre en Suisse ?

Il est temps que nos gouvernements relancent le débat pour ceux atteints d’une maladie incurable qui causera une souffrance insupportable dans l’avenir. Comment respecter leur volonté, comment obtenir leur consentement. Ils devront avoir le droit de se protéger contre une fin de vie indigne.

Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion