En cette semaine de commission parlementaire sur l’avenir des médias, il m’apparaît pertinent de soulever un point qui semble passer sous le radar : la relève des lecteurs de journaux.

Qui seront les consommateurs de nos médias d’information, si nous n’induisons pas dès maintenant chez les plus jeunes l’habitude de consulter nos journaux ? Qui consultera les nouvelles créées ici, si nous n’incluons pas dès maintenant les enfants et les ados dans notre grand projet ? Toute la semaine, nous avons discuté d’avenir entre adultes sans considérer que cet avenir, ce sont en grande partie les jeunes qui le feront.

Partout dans le monde, de grands médias d’information proposent des sections qui expliquent l’actualité aux enfants.

Par exemple, en France, Libération offre « l’actu des grands expliquée aux 7-12 ans » dans Le P’tit Libé qui paraît chaque semaine. Time en fait autant avec Time for Kids, dont la mission est d’apprendre aux enfants à reconnaître la valeur du journalisme. Et fidèle à sa devise d’éclairer la démocratie, le Washington Post offre Kids Post afin d’aider les enfants à justement y voir plus clair. Des abonnements à environ 7 $ par mois se vendent suffisamment pour que ces sections soient offertes, année après année. Les parents (et les enseignants) ont soif de ce genre de contenu pour leurs jeunes. Ce ne sont là que quelques exemples et c’est sans compter les applications diverses et les séries télévisées vouées à offrir des clés aux jeunes pour les aider à décrypter le monde qui les entoure.

Quand l’exigence du CRTC disparaît...

Ici, les excellents magazines Curium et Les Débrouillards apportent leur contribution. La série Le monde est petit (Zone jeunesse SRC) explique les grands enjeux aux enfants de façon simple et ludique. Mais rien du côté de l’info quotidienne. Nous avons eu jadis RDI junior, qui a expliqué les manchettes du jour aux 9-12 ans pendant neuf années. Cette émission, qui a accompagné bon nombre d’enfants et d’adultes aussi, était tout simplement née d’une exigence du CRTC lors du renouvellement de licence de RDI en 1999.

Journaliste aux affaires publiques à cette époque, j’avais conçu cette série à la demande des patrons du Réseau de l’information. Chaque jour, nous expliquions aux enfants les trois principales manchettes du Téléjournal. Aucun sujet n’était mis à l’écart. Nous étions même restés en ondes pendant les jours suivants les attentats du 11 septembre 2001 au grand soulagement d’enseignants et de parents aussi démunis que leurs gamins devant cette tragédie. RDI junior est disparu lors du retrait de l’exigence par le CRTC d’avoir une émission pour enfants à l’antenne de RDI. Une vision plutôt courte, influencée par les coupes budgétaires.

Jamais je n’ai abandonné ce désir d’expliquer l’actualité aux petits. En fait, je n’y ai jamais autant cru.

Nous sommes à une époque où l’anxiété des enfants et des ados atteint des niveaux inégalés et inquiétants. Au Québec, un jeune sur cinq souffrirait de troubles anxieux. Environnement, conflits armés, attentats, fake news, leaders qui malmènent nos valeurs et l’ordre mondial… nos jeunes sont bombardés chaque jour d’informations qu’ils sont incapables de traiter et qui sont sujets d’angoisse. Il est impératif de leur donner des outils pour comprendre ce qui se passe sur la planète en leur offrant, en plus de compétences en politique, géographie, éthique, etc., des pistes pour qu’ils se sentent en mesure d’agir sur leur monde. L’impuissance est tellement anxiogène !

Mais comment encourager l’action citoyenne sans nourrir cet engagement par une connaissance de l’actualité ? Comment stimuler l’esprit critique sans donner accès à différents points de vue rendus accessibles aux jeunes ? Comment même soutenir le journalisme et la recherche de vérité si on ne les valorise pas auprès des jeunes ? (Sur ce sujet, la FPJQ fait un excellent travail avec le projet « 30 secondes avant d’y croire » destiné aux jeunes de 15 à 17 ans.)

Bien que plusieurs initiatives de vulgarisation de l’actualité existent dans le monde, je suis persuadée qu’un média d’information québécois doit offrir ce service. Pour les mêmes raisons qu’on considère comme important d’avoir des journaux locaux : pour parler de notre monde, dans nos mots, à notre façon, avec nos références. Et parce qu’en plus de participer à l’éducation populaire dont chacun se réclame ces jours-ci (avec raison), un média québécois qui investirait dans une section destinée aux enfants ou aux ados investirait également dans l’avenir de son entreprise.

Difficile d’inculquer aux enfants le réflexe de consulter les médias québécois s’ils n’ont jamais été interpellés par ceux-ci !

Pendant que nous réfléchissons tous ensemble à l’avenir des médias d’information, je propose que l’on considère une offre pour les jeunes non pas comme une dépense supplémentaire, mais comme un investissement essentiel à la pérennité de nos entreprises de presse. Et tiens… si cela devenait une exigence de notre gouvernement pour accorder des subventions ? Et si comme société on décidait qu’il s’agit d’une priorité que de donner tous les moyens à nos enfants de ne pas devenir des analphabètes de l’actualité ? J’y crois encore.

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