Alors que la 42e législature tire à sa fin, les sénateurs réfléchissent aux perspectives postélectorales et au fonctionnement de la chambre haute, quelle que soit la configuration du gouvernement après le 21 octobre.

Au cours des quatre dernières années, la composition du Sénat a subi une reconfiguration majeure. Le Groupe des sénateurs indépendants (GSI) est devenu le plus nombreux groupe parlementaire et est aujourd’hui majoritaire.

Tout parti (ou toute coalition de partis) qui, aux prochaines élections, obtiendrait la majorité à la Chambre des communes ne jouirait pas d’une majorité au Sénat. Certes, des gouvernements précédents ont réussi à cohabiter avec le Sénat sans y détenir la majorité. Cela n’a toutefois été possible qu’au prix d’arrangements entre partis politiques et sous les directives de leurs whips.

Le Groupe des sénateurs indépendants n’a pas de whip. Il regroupe une majorité de personnes accomplies, venues d’horizons divers, avec des expertises complémentaires. Ces sénatrices et sénateurs ont en commun leur détermination à défendre farouchement leur droit de voter librement. Au cours de la législature qui s’achève, des membres du GSI ont proposé de nombreux amendements à des projets de loi du gouvernement. Ils ont même, à l’occasion, voté contre certains de ces projets.

Cela étant, le Sénat n’a pas rejeté de projet de loi du gouvernement au cours de la 42e législature. Cela s’explique par une combinaison de facteurs, dont des vues similaires quant aux politiques publiques, la déférence envers les représentants élus à la Chambre des communes et, le plus crucial, le haut degré de succès dans l’obtention d’amendements et autres améliorations à la législation gouvernementale.

En fait, au cours de la 42e législature, le Sénat a proposé plus de 400 amendements à 34 projets de loi. La Chambre des communes en a accepté plus de 60 %.

La preuve qu’un Sénat indépendant fonctionne réside à la fois dans la liberté des sénateurs de proposer des modifications significatives et pertinentes aux projets de loi, et dans la disposition du gouvernement à les accepter.

Pour certains détracteurs, le véritable test d’un Sénat indépendant est fonction de sa volonté de rejeter des projets de loi du gouvernement. Nous avons, au cours des dernières années, entendu de tels appels. Paradoxalement, pour tout projet de loi satisfaisant pourtant les critères de veto du Sénat, des opposants à un tel veto n’ont pas hésité à s’attaquer à une institution antidémocratique, outrepassant ses compétences.

Tenir compte de l’ensemble de l’examen législatif

Voilà pourquoi la valeur d’un Sénat indépendant ne doit pas se mesurer qu’à l’aune des votes des sénateurs indépendants. Il faut en plus tenir compte de l’ensemble de l’examen législatif et des délibérations tout au long du cheminement d’un projet de loi au Sénat. Cela comprend les séances de comités, les conférences publiques, les déclarations aux médias et, évidemment, les amendements.

Le défi fondamental du Sénat aujourd’hui n’a pas vraiment changé depuis sa création, il y a 152 ans : des Canadiens doutent de la légitimité d’une chambre haute composée de non-élus. L’enjeu de la légitimité du Sénat touche autant les sénateurs partisans que les indépendants. Nous croyons toutefois qu’un Sénat plus indépendant édifierait des bases plus solides pour créer un climat de confiance, de crédibilité et de respect envers la chambre haute.

Cela constituerait aussi une occasion d’œuvrer davantage positivement à l’amélioration du mieux-être des citoyens.

Un récent sondage Nanos révèle que près de 80 % des Canadiens soutiennent le nouveau processus indépendant de nomination, basé sur le mérite, et la nomination de sénateurs non partisans. Seulement 3 % de la population souhaite un retour au système de nomination partisan.

La réforme en cours du Sénat ne doit cependant pas se limiter à la nomination de sénateurs non partisans. Elle doit viser un meilleur fonctionnement de la chambre haute. 

Elle doit inclure, au premier chef, des amendements à la Loi sur le Parlement du Canada pour que soient reconnus des groupes parlementaires autres que le gouvernement et l’opposition.

La réforme passe aussi par la modernisation des règles et des pratiques du Sénat pour permettre l’examen opportun des projets de loi dans des délais raisonnables. Enfin, la refonte des comités sénatoriaux pour en accroître la pertinence et l’efficacité à considérer les enjeux contemporains, intérieurs comme internationaux, est incontournable.

Dysfonctionnement institutionnel

Un contexte particulièrement révélateur de dysfonctionnement institutionnel a pu être constaté en fin de juin dernier, alors que nous avons adopté une pléthore de 18 projets de loi au cours de la dernière semaine de session. Plusieurs avaient été déposés au Sénat plusieurs mois auparavant. Ces projets étaient demeurés dans les limbes, soit en raison de retards délibérément causés à des fins partisanes ou par pure négligence. 

Cela sans compter d’importants projets de loi non gouvernementaux portant notamment sur la formation des juges en matière d’agressions sexuelles, la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, et la protection de la santé des enfants. 

Aucun de ces projets de loi n’a pu progresser au stade du vote en raison de l’opposition d’une minorité déterminée qui a défendu le recours à ces tactiques dilatoires avec ce prétexte usé : le règlement nous permet de le faire.

Or, le Sénat a le pouvoir de changer ces règles. Il persiste cependant un fort degré d’inertie au sein de l’institution et une résistance au changement. Celle-ci résulte en partie d’une culture de marchandage, qui perdure depuis des années, et de la conviction que la même tactique dilatoire qui frustre aujourd’hui un parti pourra un jour être utilisée sous le gouvernement d’un autre parti.

Tout cela reflète une conception de l’institution qui, en dépit de leurs mérites, accorde une importance démesurée à la tradition et au privilège, et sous-estime la valeur de la transparence, de la responsabilité et de l’efficience.

Tant pour les libéraux que pour les conservateurs, le retour à un processus de nomination partisan constitue une idée séduisante qui offre une plus grande certitude de contrôle du Sénat. Cependant, plusieurs des membres actuels de tous les partis, après avoir connu une chambre haute plus indépendante, s’opposeraient à toute tentative de la part de la Chambre des communes ou, pire encore, du bureau du premier ministre, d’exercer une plus grande emprise sur les sénateurs.

Un Sénat moins partisan et plus indépendant est la voie à suivre pour en finaliser la réforme et la modernisation. C’est la voie incontournable pour le rendre légitime au yeux d’un vaste pan de la population et lui permettre de pleinement remplir son devoir de procéder à un second examen objectif des projets de loi.

Les sénateurs ne sont pas soumis à une élection tous les quatre ans. Chaque jour où ils servent au Parlement, ils sont toutefois soumis au test de légitimité et de crédibilité de leurs concitoyens.

* Raymonde Saint-Germain représente le Québec (De la Vallière) et Yuen Pau Woo, la Colombie-Britannique. Ils sont les facilitateurs du Groupe des sénateurs indépendants.

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