Patrick Lagacé titrait dernièrement une chronique « Petite révolution à la Maison Adhémar-Dion ». Je crois qu’il y avait une inflation, voire une hyperbole des mots nuisant à la pérennité d’un ordre social. Les réactions des lecteurs ont été du même acabit, menant à une réaction fort à propos de l’Association des maisons de soins palliatifs pour redéfinir le débat et la définition des rôles.

L’aide médicale à mourir (AMM) s’est imposée en priorité politique, sur laquelle on a serti un vocable de droit : mourir dans la dignité. Ce concept est pourtant ancien, mettant longtemps à s’imposer dans le domaine médical. 

Florence Nightingale a instauré des soins aux mourants en guerre. Elisabeth Kübler-Ross a proposé les objectifs des soins palliatifs. Puis, le temps a pu changer les perceptions pour que la palliation fasse partie intégrante des soins. Des gens se sont formés, la recherche a défini les meilleures pratiques, et des lieux ont été consacrés à cette approche.

Notons que quand la loi permettant l’AMM a été promulguée, il n’était ni édicté ni spécifié de lieu et de gens qui devaient s’occuper de ce soin. C’était une offre nouvelle ; n’était-il pas raisonnable de penser que des ressources viendraient encadrer les lieux et le personnel, et que le gouvernement aurait planifié l’implantation ?

Tel ne fut pas le cas. Ces soins se sont développés en marge de ce qui existait déjà, et plusieurs ont suggéré que les unités de soins palliatifs seraient un lieu idéal pour pratiquer l’AMM. Il y avait dès lors un risque que les unités de soins palliatifs perdent leur vocation de lieu de décès prodiguant des soins de confort, pour devenir un endroit voué à assurer la mort au moment désiré.

Un tel changement n’aurait pas été bienvenu si sa résultante avait été l’abandon d’une palliation longtemps réclamée, et pourtant encore difficilement accessible. Les réactions de plusieurs prestataires de soins palliatifs ont été bien démonstratives à cet égard.

Notons aussi qu’ailleurs dans le monde, l’AMM prend une forme différente ; elle est souvent pratiquée dans des cliniques spécialisées proposant au patient un suicide assisté qu’il s’administre dans l’environnement de son choix, sans l’imposer à l’État ou à des prestataires de soins. Cette notion a été occultée par nos dirigeants politiques, qui exigent l’intervention d’un tiers pour causer la mort.

N’était-il donc pas alors normal de penser que le temps et la réflexion étaient nécessaires pour déterminer la meilleure façon d’offrir cette option de fin de vie ?

Pour certains, puisque des politiciens avaient adopté une loi, il inférait que tout serait automatiquement disponible dès le lendemain.

Notons de plus que cette loi était associée à d’importants doutes légaux et administratifs, faisant en sorte que des actes étaient presque plus légaux que médicaux et relevaient d’une commission détachée de l’organisation médicale et des mécanismes de supervision des actes médicaux.

Empressement médiatique

Il a donc fallu faire des ajustements, tant du côté médical que gouvernemental et des ordres professionnels. Le temps a favorisé un raisonnement et des accommodements pour permettre de réaliser, au moment opportun, les intentions établies dans la loi.

Les médias n’avaient de cesse de couvrir ce sujet comme une enquête plutôt qu’un phénomène social évolutif, méconnaissant la primauté qui revient à des institutions de situer cet ajout aux responsabilités existantes sans brusquer indûment le système ou pénaliser les autres soins nécessaires, notamment les soins palliatifs.

Malgré les écueils rapportés dans les médias, il s’est réalisé plus d’AMM qu’initialement envisagé sans qu’il y ait désordre ou émoi public.

C’est la réalité qui ressort mal des constats publics. Chaque fois qu’il y a intervention humaine, il est impossible d’exiger la perfection. S’impose un besoin de formation et d’adaptation qui permet d’apprivoiser les motivations de chacun. C’est ce à quoi servent des institutions qui ne créent pas les lois, mais qui permettent de les implanter en évitant les remous inutiles.

Il n’y a nullement eu de « révolution », personne n’a déchiré sa chemise, nié ses convictions ou renoncé à ses pratiques. Il y a eu des mots, des actions et en a résulté un état de fait qui ne contredit pas la loi, qui a permis d’assurer l’intégrité du réseau pour le bien-être des patients tout en donnant un cadre à l’AMM. Les institutions ont joué leur rôle de stabilisation alors que les médias cherchaient à imputer des fautes.

La loi sur l’AMM demeure bien imparfaite, avec l’imposition d’un acte qui est de prime abord contre nature. Avant d’élargir le cadre de la loi, tel que discuté, il y a des étapes obligées.

– Favoriser l’introduction du suicide assisté pour les personnes aptes à s’autoadministrer l’AMM ;

– Consacrer des cliniques à un soin que l’on voudra spécialisé et encadré, dans un contexte réglementaire et légal qui se démarque des activités médicales régulières ;

– Recentrer la supervision de cet acte médical évalué par des pairs et non des comités légaux.

La couverture médiatique de l’AMM est le reflet d’une société dans laquelle on s’attend au « here and now ». Des institutions comme les hôpitaux existent, avec leurs instances stables et apolitiques, pour stabiliser les processus indépendamment des médias visant à créer la nouvelle en oubliant leur rôle d’observateur de l’évolution sociale. La nouvelle serait que les institutions ne puissent s’adapter, mais tel n’est pas le cas en ce qui concerne l’AMM.

Au XIXe siècle, Pulitzer a réformé la presse écrite en démocratisant la nouvelle, créant des titres courts et accrocheurs agrémentés d’images et de portraits. Il voulait informer « the many, not the few ». À cette époque, une large portion de la population ne savait pas ou peu lire. Pulitzer leur a permis d’acquérir l’information pertinente pour les décisions quotidiennes et pour comprendre les actions des dirigeants.

Les médias sont aussi une institution en évolution, par exemple en modifiant leur facture en devenant numériques. Mais pour paraphraser imparfaitement Pulitzer, il est important d’avoir une presse qui évolue et qui s’élève, parce que c’est une profession noble qui a une influence sur l’esprit et la moralité de la population.

Dans cet esprit, l’AMM est l’exemple d’un changement social qui profiterait d’une couverture médiatique sobre et apte à nous faire évoluer, plutôt qu’à simplement décrier les manquements qui risquent inévitablement de survenir. Les titres accrocheurs se doivent d’être informatifs et non provocateurs.

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