Ce devait être un « chemin de plaisance », une route agréable dans un bel îlot de verdure urbaine. C’est devenu la rue la plus désagréable de Montréal, un chemin de déplaisance absolue…

Le printemps dernier, après avoir raté son projet-pilote visant à interdire la voie Camillien-Houde aux voitures, la mairesse Plante s’est rangée à l’avis de l’Office de consultation publique de Montréal (OCPM), qui recommandait une solution de compromis civilisée.

Cette route était devenue une autoroute de transit est-ouest pour les automobilistes, en même temps qu’une piste d’entraînement pour les cyclistes qui la dévalaient à toute vitesse. L’OCPM proposait un chemin principalement voué à la contemplation de la nature, soumis à des limites de vitesse réduite, et harmonieusement partagé entre piétons, cyclistes et automobilistes.

Hélas, une fois tombé entre les mains des fonctionnaires de la Ville, ce beau projet a été complètement dénaturé. 

PHOTO DAVID BOILY, ARCHIVES LA PRESSE

Voie Camillien-Houde

On a réaménagé Camillien-Houde grossièrement, comme s’il ne s’agissait que d’une rue quelconque, et avec le mauvais goût affligeant qui a trop souvent été, à toutes les époques, la marque de commerce de l’administration municipale.

Cette voie est devenue, comme le disait Josh Freed, l’excellent chroniqueur de Montreal Gazette, « une course à obstacles aussi agréable que le boulevard Taschereau ». Panneaux jaunes et rouges disposés n’importe comment, feux de circulation, poteaux d’aluminium, bollards de métal, barrières de ciment, dos d’âne… Un amoncellement désordonné d’interdictions qui vous distrait et vous terrifie, et qui transforme ce qui devait être une promenade dans la montagne en parcours du combattant.

Entrons-y par Côte-des-Neiges. Un seul panneau, au surplus mal placé, indique une limite à 40 km. On aurait pu la fixer à 30, ç’aurait été plus réaliste, car alors que la route se rétrécit, voici que surgit une succession de dos d’âne incongrus comme je n’en ai jamais vu de ma vie : une série de plaques noires et carrées qui ne font pas la largeur de la route, même pas celle des roues de ma très petite auto. On est ralentis, certes (c’est l’idée), mais avec une brutalité quasiment agressive : votre voiture se trouve déséquilibrée à chaque heurt, car elle ne frappe la plaque que d’un côté. Très déplaisant.

Une fois passées les déviations habituelles à la hauteur du lac aux Castors, les choses se corsent. Des pistes cyclables unidirectionnelles apparaissent des deux côtés de la voie réservée aux autos et aux bus… laquelle commence à se rétrécir dangereusement. Les pistes cyclables sont énormes – assez vastes, signale Freed, pour accueillir trois ou quatre vélos de front !

À plusieurs endroits, les pistes sont plus larges que la voie destinée aux autos et aux autobus. Et assez larges pour que quatre ou cinq cyclistes puissent s’arrêter pour converser ou regarder leur téléphone sans risquer de nuire au passage des vélos en marche.

On continue vers l’Est. Maintenant, la voie centrale, étroite et sinueuse, est divisée et bordée par plusieurs centaines de poteaux de métal blancs particulièrement hideux, et cela se poursuivra jusqu’à la sortie de l’avenue du Mont-Royal. Pas le temps de regarder le paysage. L’automobiliste est tout entier concentré sur la peur de se cogner à un poteau.

Personnellement, je ne suis pas du tout incommodée par le feu rouge qui préside à la circulation alternée, à l’endroit où la route, louvoyant entre les murailles de roche, devient unidirectionnelle. Bien sûr, il y a des bouchons. Mais bon, on n’a qu’à partir plus tôt si l’on a un rendez-vous, et l’on ne va quand même pas dynamiter la montagne pour élargir une route secondaire !

La limite de vitesse ne me dérange pas non plus. Je l’aurais trouvée bien acceptable à 30 km/h. Le problème, c’est la multitude d’obstacles mal conçus, énervants et terriblement laids. 

Jamais le moindre souci de la beauté dans ce qui devrait être, justement, une oasis de beauté. On n’a même pas essayé d’enjoliver les arrêts de bus, les signes d’arrêt ou les panneaux d’information.

PHOTO OLIVIER PONTBRIAND, ARCHIVES LA PRESSE

« Si le but secret de l’opération était de dissuader les automobilistes d’emprunter la voie Camillien-Houde, on peut dire que c’est réussi », écrit Lysiane Gagnon.

Le comble de la laideur se manifeste quand, arrivé au belvédère, surgit une étrange construction de bois et de poteaux de métal qui ressemble à un abri de chantier ou à un cabanon qu’un menuisier amateur aurait oublié d’achever. Et qui bloque la vue sur l’est de Montréal et le fleuve. Cette chose s’appelle un « café », plus précisément un café poétiquement nommé « suspendu ».

Peut-être un architecte de talent aurait-il pu concevoir quelque chose de joli, d’invitant et de discret, mais de toute façon, quel besoin a-t-on d’un café dans ce lieu très étriqué ? Le belvédère se suffit à lui-même et le passant n’a nul besoin de se restaurer quand il se trouve à quelques minutes de Côte-des-Neiges et du Plateau Mont-Royal. On a besoin d’un casse-croûte quand on est, disons, sur un col des Pyrénées et qu’on a fait deux heures de route de montagne. Mais ici ? Vraiment pas nécessaire !

Pas nécessaires non plus les spectacles de musique au belvédère dans une ville où abondent les bars et les festivals gratuits. Il n’y a pas assez de terrain plat, pas assez de place, et un café-spectacle ne fait qu’augmenter le trafic et ajouter à la congestion.

Enfin, l’espace dévolu aux cyclistes est tout simplement démesuré. Le parc du Mont-Royal doit-il être réservé aux sportifs de moins de 30 ans ?

Rappelons qu’à Montréal, seulement 2,5 % des déplacements se font à vélo. Les deux tiers des cyclistes sont des hommes. Et il faut être jeune et très en forme pour gravir à vélo les côtes du mont Royal. Cela laisse pas mal de monde de côté.

En tout cas, si le but secret de l’opération était de dissuader les automobilistes d’emprunter la voie Camillien-Houde, on peut dire que c’est réussi. Mais il aurait été plus démocratique de le dire franchement.

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