« Nous étions venus explorer la Lune, nous avons découvert ce qu’était la Terre », a mentionné Bill Anders, membre de la mission Apollo 8, après avoir pris la première photo de lever de Terre de l’histoire. C’était en décembre 1968, lors du premier vol orbital autour de la Lune.

Plus encore que les célèbres paroles de Neil Armstrong — « Un petit pas pour l’homme, un grand pas pour l’humanité » —, ces paroles d’Anders doivent nous interpeller.

Elles nous rappellent au fond le vrai but des voyages dans l’espace, qui ne sont pas différents de ceux que nous faisons sur Terre : nous rapprocher de nous-mêmes.

Nous qui sommes trop souvent appelés à mesurer le progrès en termes de productivité, de rendement, de production économique et de richesse matérielle ne devrions jamais oublier que la science et la technologie doivent d’abord être des instruments de libération de l’homme.

On a souvent, et à raison, critiqué les sommes colossales consacrées à l’exploration spatiale alors qu’il y a tant à faire ici, sur Terre. Devant les contradicteurs, on a tôt fait d’évoquer cette soif d’apprendre et de connaître, cette insatiable curiosité de l’homme qu’on ne saurait freiner sous peine de nier sa nature profonde.

On ne manque pas non plus d’évoquer les progrès considérables de la science et de la technique attribuables à l’exploration spatiale. La physique, la chimie, la médecine et même la psychologie ont profité des programmes spatiaux. Et l’on ne manque de rappeler tout ce que notre monde moderne doit aux voyages dans l’espace : les premiers efforts réels de miniaturisation des ordinateurs, le velcro, le téflon, le coussin gonflable, l’imagerie médicale, des crèmes pour la peau, les matériaux composites et une myriade d’autres produits.

Mais la plus grande conquête engendrée par les programmes spatiaux — qu’ils soient américains, russes ou internationaux — ne se trouve ni dans l’espace ni sur Terre ni dans nos maisons. Elle se trouve en nous. 

La conquête de l’espace démontre hors de tout doute que si grandes soient nos ambitions, fragile demeure notre monde.

Après ce fameux lever de Terre, l’homme ne peut plus avoir le même regard sur lui-même. De l’espace, aucune frontière n’est visible. Les États-Unis, la Russie, le Canada et les 192 autres États de la planète n’existent plus. Il n’y a qu’un constat qui s’impose : cette Terre, sur laquelle nous levons depuis si longtemps toutes sortes de titres de propriété, ne nous appartient pas. Elle appartient à l’univers… Un constat qui force l’humilité et façonne la conscience environnementale.

Humilité, solidarité

L’humilité, puisqu’on en parle, était d’ailleurs le passage obligé des astronautes. Car chaque étape de la mission était périlleuse. Les trois astronautes d’Apollo 1 sont morts pendant les préparatifs de la mission, ici sur Terre. Ceux d’Apollo 13 ont bien failli y passer, alors que les sept occupants de la navette Challenger sont morts pratiquement au décollage de la navette, en 1986.

Qui peut se vanter d’être prêt à affronter la mort, seul dans le vide sidéral ? Cette solitude de l’astronaute dans l’espace chantée par David Bowie dans Space Oddity, « Planet Earth is blue and there’s nothing I can do… », c’est à elle que renvoie la photo de Bill Anders. Mais cette solitude est aussi la nôtre, les habitants de la Terre. En photographiant le grand vaisseau bleu qui semble voyager si paisiblement dans l’espace avec ses 8 milliards de passagers, ce vaisseau qu’on appelle la Terre, Anders et ses collègues nous rappellent, ironiquement, le défi premier de l’humanité : être solidaires sur cette Terre comme doivent l’être les astronautes dans leur capsule. C’est la seule manière d’assurer la survie. Qu’ils soient trois ou huit milliards d’astronautes à bord.

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