Je désire vous faire partager mon récit de vie en tant que Québécois de la deuxième génération, d’origine chinoise. Je veux vous raconter mon histoire en lien avec le français, langue que nous chérissons tant.

J’ai eu la chance d’apprendre le français et je mène une vie professionnelle, culturelle et sociale très satisfaisante parce que je suis francophone. Cette histoire d’amour, mes parents ne l’ont pas vécue.

Mes parents et mes frères et sœurs aînés sont des boat people qui ont fui Hanoi pour arriver au Québec au début des années 80. Avec ma grand-mère, nous étions sept à vivre dans un cinq et demie.

Mes parents parlaient déjà cinq langues quand ils sont arrivés ici. Travaillant au salaire minimum, ils avaient quatre enfants à nourrir et à élever. Avec la meilleure volonté au monde, ils ont commencé des cours de français. Mais ils ont dû composer avec la pauvreté, le travail et la lourde responsabilité de prendre soin d’une grande famille. Dans ces conditions difficiles, impossible pour eux d’apprendre la conjugaison des verbes irréguliers et les conjonctions de coordination.

L’absence de conditions gagnantes pour apprendre le français a noué leurs cordes vocales.

Nous, leurs enfants, sommes devenus, et nous le sommes encore, des enfants traducteurs. Dans plusieurs familles immigrantes où les parents ne parlent pas le français, les enfants traduisent et interprètent du mieux qu’ils peuvent des documents comme des factures, des bulletins scolaires, des déclarations de revenus ; ils interprètent aussi les conversations comme des transactions à la banque, une plainte à la police ou une chicane de voisins.

J’avais 6 ans quand j’ai commencé à assumer ce rôle. Depuis, j’ai toujours été le bouclier de mes parents pour les protéger des insultes et du mépris dont ils ont été et sont encore victimes parce qu’ils ne parlent pas français. « Considère-toi chanceux d’être ici. » « Si t’es pas content, retourne dans ton pays ! » « Au Québec, c’est français, sti ! »

Du racisme déguisé

J’ai souvent été témoin de situations où des gens se sont fait snober, ignorer, insulter parce qu’ils ne parlaient pas la langue de Molière. Est-il nécessaire d’insulter quelqu’un qui ne parle pas le français pour lui signifier qu’ici, on parle le français ?

Ces comportements racistes sont difficiles à dénoncer parce qu’ils sont déguisés sous un costume qui prend la forme de la défense de la langue française ou du nationalisme.

Je ne ne remets pas en question l’importance d’apprendre le français, je montre plutôt du doigt l’absence de considération, de dignité et le traitement injuste et honteux que vivent les immigrants allophones.

Pour les parents qui ont les cordes vocales nouées et les enfants traducteurs encore trop jeunes pour s’affirmer face aux adultes, comment se défendre contre ces comportements discriminatoires et agressifs ?

Muets, fatigués et impuissants, les immigrants allophones n’ont d’autre stratégie que de s’endurcir. Ils encaissent les coups et souffrent en silence. À la longue, ces coups répétés provoquent des fissures à l’âme – et les immigrants s’isolent.

Comment faire pour éviter que d’autres vivent l’isolement que mes parents ont vécu ?

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