L’urgence climatique fait la une quasi quotidiennement ; la planète s’invite à gauche et à droite ; les aliments locaux ont la cote ; le bien-être animal est une préoccupation courante ; les potagers reviennent à la mode ; les maraîchers font de la téléréalité ; les villes compostent plus que jamais ; les marchés publics poussent comme des champignons ; mais les règles qui contraignent l’agriculture artisanale ne finissent pas par emboîter le pas.

Alors que le climat sonne le glas de nos multiples disputes et que le désir d’une alimentation responsable semble gagner les foules, pourquoi l’État ne reconnaît-il pas encore le statut particulier de l’artisan agricole ? 

De mon point de vue d’artisan fermier, il n’y a pas meilleur remède pour la planète que la souveraineté alimentaire des nations, soutenue par une myriade de petites fermes aux activités variées, écologiques, dont les intrants sont produits sur place, qui profitent à fond de leur biotope et mettent à la disposition de leur communauté un ensemble de denrées fermières végétales et animales made in Québec.

Cette grande communauté de petites fermes constitue la clef de voûte de notre souveraineté alimentaire et devrait ni plus ni moins servir de base à toute politique environnementale digne de ce nom.

Mais ce type d’agriculture, la plupart du temps, est encore impossible au Québec…

L'impossible immaculée digestion

N’en déplaise à certains, notre alimentation met nécessairement un terme à la vie d’un être innocent qui, si on l’avait laissé tranquille, aurait probablement vécu plus longtemps.

Je le répète, l’immaculée digestion est impossible. L’équilibre est ailleurs que dans l’abstinence. L’équilibre est, comme toujours, dans la nuance et la modération. Et puisqu’il faut manger pour vivre, nous devrions manger ce que nous sommes capables de produire. Et puisqu’il y a urgence climatique, nous devrions pratiquer et encourager une agriculture écoresponsable.

Cette agriculture devrait pouvoir être pratiquée ici, au Québec, avec des moyens simples, pour que le plus grand nombre, si le cœur lui en dit, soit en mesure de nourrir son prochain.

Au nom de tous les miens, je demande qu’on soutienne l’émergence d’une agriculture artisanale écologique respectueuse de l’environnement. 

Nous devons arrêter de nous laisser bercer et berner par les diktats de l’industrie et les chiffres des rapports qu’ils commandent.

Il importe peu qu’une protéine alimentaire soit végétale ou animale ; ce qui importe, c’est la façon dont elle a été produite, la résilience du système qui lui a permis de parvenir jusqu’à votre bouche.

Vous voulez participer à l’effort de guerre contre les GES ? Séquestrer du CO2 une bouchée à la fois ? Mangez des végétaux produits par les petits maraîchers locaux. Il en pleut. Mangez de la viande élevée au pâturage par des éleveurs d’ici. Ils existent. Exigez que soit offert, comme au pays de Trump, le lait cru de vaches, de chèvres ou de brebis élevées au pâturage. C’est le meilleur.

Mais pour l’amour de notre terroir, n’achetez pas ces faux aliments et ces simili-viandes qui sont vides de sens et ne servent qu’à écoblanchir nos cerveaux.

De la viande écoresponsable

On le réalise mieux maintenant, les pâturages, lorsqu’ils sont bien broutés, sont de véritables puits de carbone. En effet, les troupeaux stimulent la croissance des herbes fourragères qu’ils broutent, décuplant ainsi l’efficacité du pâturage à capter dans l’air, puis à séquestrer dans le sol, une grande partie du CO2 contenu dans l’environnement. Qui plus est, moutons et bouvillons, vaches, brebis et chèvres laitières nous procurent des protéines fermières délicieuses, à distance raisonnable de chez soi, stockables et d’une densité nutritive sans pareil.

N’oublions pas que les pâturages sont, la plupart du temps, des terres qui se prêteraient bien mal à la culture d’autre chose que des plantes fourragères.

Qu’ils sont constitués de plantes vivaces qui n’ont pas besoin d’être semées, désherbées, engraissées artificiellement, interdites d’accès aux insectes, avant d’être récoltées par des travailleurs migrants et transportées vers les supermarchés en espérant qu’elles se vendent avant d’être flétries.

Et il n’y a pas que les ruminants qui peuvent être élevés au pâturage, la volaille aussi ! En effet, elle se satisfait aisément d’un pâturage riche en insectes, en graminées indigènes vivaces et en verdures en tout genre. Et la volaille est facile à préparer, pour peu qu’on ait les bons outils et un savoir-faire adéquat : poule au pot, coq au vin, poulet rôti, œufs à la coque, bénédictine, mouillettes, alouette… que des merveilles à portée de la main.

Mais pourquoi donc l’État nous refuse-t-il encore de faire commerce de ces merveilles en brandissant le spectre de l’insalubrité, en acceptant qu’une loi désuète réserve les fruits de notre agriculture à ceux qui détiennent des quotas, en exigeant de l’artisan qu’il devienne un industriel… 

Pourquoi donc le lait d’une chèvre, cuit dans un gâteau préparé à la ferme, est-il encore aujourd’hui interdit à la vente ?

Pourquoi est-il toujours impossible d’élever librement quelques centaines de volailles nées sur la ferme, de les faire griller à la broche et de les vendre à qui les voudra ?

Pourquoi sommes-nous encore incapables de permettre l’abattage à la ferme d’animaux de basse-cour, à quelques mètres de l’endroit où ils ont grandi, évitant ainsi à l’éleveur et à « l’élevé » une panoplie d’étapes laborieuses toutes plus coûteuses et polluantes les unes que les autres ?

Pourquoi ne permet-on pas à l’artisan d’exprimer jusqu’au bout son savoir-faire à la ferme et ne laisse-t-on pas ses clients juger sur place de l’hygiène de ses méthodes et de la salubrité du produit fini ?

Sommes-nous si peu fiers de nos terroirs et à ce point méfiants de nos artisans que nous préférons choisir des aliments de fabrication et de provenance inconnues au supermarché plutôt que d’aller sillonner nos campagnes à la recherche d’aliments confectionnés sous nos yeux ? 

La souveraineté alimentaire du Québec, soutenue par une agriculture entrepreneuriale digne de ce nom, pourrait bien devenir l’atout principal de notre nation.

Qu’attendons-nous ? Un autre burger impossible ?

Non, merci.

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