Vous est-il déjà arrivé de rester bouche bée devant un édifice, sans comprendre ce qui vous arrive ?

Nous percevons des choses que notre raison n’arrive pas toujours à décoder. Cet effet est planifié par les architectes, qui disposent d’outils pour arriver à créer des ambiances et susciter des émotions. Parmi eux, on compte l’agencement des volumes, des pleins et des vides, le contrôle de la lumière, les matériaux, les textures, les couleurs, les styles, etc. 

Les matériaux possèdent des qualités intrinsèques qui leur confèrent une connotation fortement inscrite dans notre inconscient.

La pierre ,par exemple, est dure, lourde et résistante. On a des bâtiments de pierre une impression de solidité, de stabilité, d’ancrage et de pérennité. À l’opposé, le verre et l’acier évoquent la légèreté, la transparence, le progrès. Le bois pour sa part renvoie à la nature ; il est considéré comme vivant et chaleureux, voire sensuel. 

Les styles aussi nous parlent. Ils peuvent être associés à un usage ou une identité culturelle. Le néo-gothique, par exemple, est fortement associé aux églises chrétiennes. Un architecte de talent qui maîtrise bien ces outils peut aussi ajouter une dimension poétique à un bâtiment pour lui faire raconter une histoire. C’est souvent le cas dans les églises modernes, où la lumière est intimement liée à notre idée de la spiritualité. 

Les architectes Québécois des années 60 et 70

Dans les grands projets des années 60 et 70, les architectes québécois sont souvent présents à titre d’architectes locaux seulement. D’Astous & Pothier et Gaston Gagnier sont parmi les rares Québécois, francophones de surcroît, à avoir l’occasion de réaliser des projets d’importance au centre-ville.

On leur doit les deux prochaines icônes que sont l’hôtel Château Champlain et le siège social d’Hydro-Québec. Bien que modernes, ces édifices ont adopté une esthétique bien différente de celle du style international en vogue à l’époque. 

Édifice Jean-Lesage (siège social d’Hydro-Québec, 1959-1962)

PHOTO ROBERT SKINNER, ARCHIVES LA PRESSE

L’édifice Jean-Lesage, siège social d’Hydro-Québec

75, boulevard René-Lévesque Ouest Gaston Gagnier, architecte, Montréal 

L’immeuble du siège social d’Hydro-Québec, baptisé édifice Jean-Lesage en 2017, fait partie des quatre premiers gratte-ciel inaugurés en 1962 à Montréal.

Le gouvernement progressiste de Jean Lesage voulait une construction moderne, à l’image de la jeune société d’État et de la société québécoise en transformation. Contrairement aux autres édifices construits au même moment par des intérêts privés, il s’agit ici d’un investissement public. 

L’image joue un rôle important et le gouvernement opte pour une construction qui regroupe des éléments empruntés à la fois au modernisme et aux styles plus anciens. Les parois lisses et sans ornements et le mur-rideau évoquent le progrès et les nouveaux idéaux, alors que la forme générale en gradins, la symétrie et l’usage de la pierre présentent plutôt une image de stabilité et de confiance. 

Au-delà des apparences, le siège social d’Hydro-Québec était techniquement très avancé tant dans sa constitution (structure d’acier, mur-rideau, etc.) que dans son approche.

À une époque où l’économie d’énergie n’était pas du tout à la mode, on a mis en place un système très novateur de récupération de la chaleur provenant du poste de transformation souterrain situé sous le stationnement derrière l’édifice. La chaleur récupérée sert à chauffer le bâtiment en grande partie. 

Au rez-de-chaussée, directement visible de la rue à travers les grandes fenêtres, était situé le centre d’exploitation des réseaux métropolitains. Le public était même invité à y entrer pour le visiter ! Le gouvernement offrait ainsi avec fierté une vitrine technologique du savoir-faire québécois, et donnait une image de transparence à la nouvelle société d’État ; tout le contraire des compagnies d’électricité d’avant la nationalisation ! 

Le gouvernement reconnaît également la modernité de l’art public au Québec avec sa Politique d’embellissement des édifices publics adoptée en 1961. Elle est graduellement mise en application et le siège social d’Hydro-Québec est un des premiers à en bénéficier.

Le gouvernement organise un concours ouvert aux artistes québécois et l’œuvre lauréate sera intégrée dans le grand hall. C’est l’artiste réputé Jean-Paul Mousseau qui remporte le concours avec son œuvre lumineuse et très pertinente Lumière et mouvement dans la couleur. D’une extrême complexité technique et précurseur du multimédia, l’œuvre change constamment ; vous ne la verrez jamais deux fois identique. Le jeu des couleurs est programmé pour ne pas se répéter avant 175 000 ans ! 

Rappelons pour l’anecdote qu’il aurait été peu probable de voir Mousseau travailler pour un gouvernement avant l’élection de Jean Lesage en 1960, car il a été l’un des signataires du manifeste Refus global (1948) qui dénonçait les élites traditionnelles durant la grande noirceur. 

Ce n’est qu’en 1981 que la politique d’embellissement est devenue une loi qu’on appelle la loi du 1 % (Politique d’intégration des arts à l’architecture et à l’environnement des bâtiments et des sites gouvernementaux et publics). 

Finalement, vous vous en souvenez peut-être, le premier ministre du Québec avait un bureau dans l’édifice Jean-Lesage de 1966 à 2003 qu’il utilisait lors de ses séjours dans la métropole. 

On doit à André Gagnier l’École polytechnique sur le campus de l’Université de Montréal ainsi que de nombreux bâtiments scolaires, résidentiels et religieux*.

L’hôtel Château Champlain (1966)

PHOTO OLIVIER PONTBRIAND, ARCHIVES LA PRESSE

L’hôtel Château Champlain

1, place du Canada D’Astous & Pothier, architectes, Montréal 

Contrairement aux autres constructions de la même décennie, le Château Champlain est un rare exemple d’un bâtiment qui n’emprunte pas le style international si cher aux architectes américains.

Les Québécois, quant à eux, semblent préférer un modernisme plus organique, texturé et expressif. 

Le matériau de prédilection est le béton qui, grâce à sa plasticité, permet d’exploiter les formes, les textures et les jeux d’ombres, mais aussi de retrouver des caractéristiques de l’architecture traditionnelle comme la solidité et la stabilité.

Ce modernisme aux formes et aux matériaux plus organiques est celui de Frank Lloyd Wright (musée Guggenheim de New York), célèbre architecte américain, pilier de l’architecture moderne mondiale, dont Roger D’Astous est un disciple. Il a en effet terminé ses études d’architecture en 1952 au célèbre atelier du grand architecte dans le Wisconsin. 

La principale caractéristique de l’hôtel de 700 chambres, plus haut de la ville à cette époque, est sans contredit sa façade de panneaux de béton préfabriqués courbés avec agrégats de quartz. L’ensemble comporte quelques clins d’œil au contexte environnant, par exemple la juxtaposition de cylindres qui évoquent ceux des silos du port ou encore les fenêtres en arc qui dialoguent élégamment avec les fenêtres néo-romanes de la gare Windsor juste à côté. Ce sont précisément ces fenêtres caractéristiques en demi-lune qui lui valent son surnom de râpe à fromage !

La forme complexe des panneaux de béton préfabriqués de l’enveloppe a nécessité un peu de recherche et développement. Les architectes ont travaillé avec le designer, architecte et artiste montréalais Norman Slater, étonnamment peu connu ici, mais dont l’œuvre a une portée internationale. On lui doit entre autres l’uniformisation de la signalisation du métro de Montréal ou encore la grille ornementale de la salle Wilfrid-Pelletier de la Place des Arts. On retrouvait au dernier étage de l’hôtel un restaurant et un bar panoramiques qui sont aujourd’hui fermés. 

Roger D’Astous est à l’origine de nombreuses résidences privées et multifamiliales dont le Village olympique ainsi que plusieurs églises, à Montréal et en banlieue, dans lesquelles il déploie tout son talent et sa créativité (Notre-Dame-des-Champs à Repentigny, Notre-Dame-du-Bel-Amour à Montréal, etc.). 

* De nombreuses informations proviennent des archives d’Hydro-Québec et du bureau d’accueil du siège social. 

À lire demain

La Place Victoria et le port de Montréal sont nos deux dernières icônes. En guise de conclusion, je vous présenterai un mini-palmarès d’accomplissements qui ont propulsé Montréal au sommet.

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