Cônes orange, infrastructures désuètes, trottoirs glacés : voilà qui met à mal notre fierté d’être montréalais ! Pourtant, mon sentiment d’appartenance à cette ville reste inébranlable. Montréal est une grande ville et, de tout temps, elle a fasciné, suscité l’admiration, réalisé des exploits et battu des records.

Cette série de quatre textes est ma réponse au cynisme ambiant trop présent à Montréal par les temps qui courent. J’espère vous faire oublier les bouchons de circulation ne serait-ce qu’un instant et redonner un peu de « pep » à votre fierté montréalaise.

Pour y parvenir, j’ai choisi de parler d’un sujet qui me tient à cœur et qui est généralement méconnu du grand public : l’architecture.

Peu de gens savent qu’au-delà de son rôle fonctionnel, l’architecture a la faculté d’être un formidable moyen d’expression qui permet de matérialiser les aspirations, les prétentions ou encore la vision des générations et des peuples. Les choix que nous faisons dans ce domaine nous définissent et, par conséquent, s’inscrivent dans notre identité culturelle. Elle nous aide aussi à comprendre le contexte social, économique et culturel d’une société à un moment précis. 

Dans son histoire, Montréal a connu plusieurs périodes de gloire. La décennie des années 60 est celle qui m’a inspiré pour ces textes, car elle est particulièrement riche en exploits, bouleversements, créativité et audace.

L’architecture est alors source de fierté et devient, grâce entre autres au style international, un véhicule pour concrétiser les idéaux d’une génération avide de modernité. 

Une deuxième raison motive ce choix. Avec le temps, il arrive que les icônes, même les plus grandes, soient surclassées et sombrent dans l’oubli.

Ces textes vous invitent donc à (re)découvrir les secrets de huit grandes icônes architecturales modernes qui ont fait la réputation de Montréal.

Leurs caractéristiques les plus frappantes seront mises en lumière de même que leurs accomplissements, le tout agrémenté de quelques anecdotes et faits divers. Tous ces éléments sont des clés qui vous permettront de voir ce patrimoine sous un angle nouveau. 

PLACE VILLE MARIE ET LA TOUR CIBC

Je vous présente, dans ce premier texte, deux icônes qui sont à l’origine du développement du nouveau centre-ville : Place Ville Marie, qui abrite la Banque Royale, et la tour CIBC. La compétition qui existait entre les deux banques s’est rapidement transposée dans l’architecture de leurs nouveaux sièges sociaux, qui devaient refléter le prestige des deux institutions. La course au titre de la plus haute tour de Montréal était lancée ! 

Mais voyons d’abord brièvement dans quel contexte cela s’est produit. 

UN PEU D'HISTOIRE

Avec l’accroissement de la population au XXe siècle, l’espace dans le Vieux-Montréal vient à manquer. Certaines entreprises décident alors de déménager vers la rue Sainte-Catherine et le square Dominion.

Ce nouvel achalandage profite aux compagnies ferroviaires déjà établies dans le secteur (gares Windsor et Bonaventure) et attise la convoitise d’autres compagnies comme la Canadian North, qui voudraient bien s’y établir également. Mais le quartier est déjà saturé ; la seule option est d’arriver par le nord en creusant un tunnel sous le mont Royal (réalisé en 1912-1913). Le niveau des voies étant plus bas que celui des rues avoisinantes, une tranchée de 50 pieds de profondeur a été creusée au débouché du tunnel, où se trouvent aujourd’hui Place Ville Marie (PVM), la Gare centrale et la Place Bonaventure.

D’ambitieux projets ont été imaginés durant les décennies qui suivirent pour boucher le « trou du CN » (le CN est né en 1923 à la suite de la nationalisation de plusieurs compagnies ferroviaires), mais les guerres mondiales et la Grande Dépression, entre autres, ont eu raison des idées de grandeur des promoteurs.

Il faudra attendre la fin de la grande noirceur, l’effervescence des années 60 et la Révolution tranquille pour voir apparaître un contexte propice à la réalisation des grands projets. 

L’arrivée d’un maire rassembleur et visionnaire, Jean Drapeau, et l’annonce de la tenue à Montréal de l’Exposition universelle de 1967 favorisent ce climat d’optimisme et d’ébullition créatrice.

PVM est le premier des grands projets à voir le jour, et c’est aussi celui qui propose pour la première fois une rénovation urbaine intéressante et viable pour enfin combler une partie du trou. 

LA FOLIE DES HAUTEURS 

En 1962, en seulement un an, la silhouette de la ville change radicalement. On assiste en effet cette année-là à l’inauguration des quatre premiers édifices à gratter le ciel de Montréal. Ils sont tous situés boulevard René-Lévesque, surnommé à juste titre le « boulevard des gratte-ciel ».

La première à vouloir marquer l’histoire est la CIBC avec la construction de sa nouvelle tour qui se voulait la plus haute du Commonwealth ! Or, le promoteur William Zeckendorf convoitait aussi ce titre pour son projet de PVM, qui devait avoir un étage de plus. Ce fait a été gardé secret jusqu’au dernier moment, et lorsque la hauteur finale de PVM a enfin été dévoilée, la CIBC, pour conserver son avance, a immédiatement fait ajouter deux étages à son édifice (dont un observatoire) quelques mois seulement avant la fin de la construction.

Il n’en fallut pas plus pour que Zeckendorf à son tour commande en catimini à ses concepteurs d’ajouter les trois étages où se trouvent aujourd’hui l’observatoire et le restaurant. C’est ainsi que PVM devint l’édifice le plus haut du Canada et du Commonwealth.

La tour CIL (aujourd’hui Telus), également terminée en 1962 boulevard René-Lévesque, ne convoitait aucun titre, mais se classe tout de même au 4e rang des édifices les plus hauts du même palmarès. On trouvait donc à Montréal trois des quatre plus hautes tours des 53 pays qui forment le Commonwealth ! 

LA TOUR CIBC (1959-1962)

PHOTO FRANCOIS ROY, LA PRESSE

La tour CIBC

1155, boulevard René-Lévesque Ouest  Architectes : Peter Dickinson & Associates, architects, Toronto, avec Ross, Fish, Duchesnes & Barrett, architectes, Montréal, architectes associés 

Il se dégage de la tour CIBC une impression d’élégance et d’harmonie. Ses proportions contribuent à lui donner cet air élancé et svelte, d’où la comparaison avec celles du campanile de la place Saint-Marc à Venise qu’en a faite le critique d’architecture montréalais Peter Collins en 1963 ! Il est vrai qu’avec la proximité du square Dominion et de la petite plaza aux pieds de l’édifice, on peut y voir une certaine parenté. 

La plaza a malheureusement disparu à la suite des travaux d’agrandissement du hall en 1992. On y trouvait la première sculpture de grand format au Canada de l’artiste britannique Henry Moore (un bronze intitulé Figure allongée, en trois morceaux, No 1, donné au Musée des beaux-arts de Montréal en 2017) ainsi que trois mâts de drapeau de 24,38 m (80 pi), les plus hauts du monde fabriqués en acier inoxydable. Les mâts existent toujours sur ce qui reste de la plaza, mais je ne suis pas en mesure de confirmer qu’il s’agit des mâts d’origine.

En devenant la plus haute tour du Commonwealth, la tour CIBC était une source de fierté pour les Montréalais. Une cérémonie a même été organisée pour souligner l’installation de la dernière poutre du toit, peinte en or pour l’occasion et exposée au square Dominion, où les gens pouvaient y appliquer leur signature. Un projecteur de poursuite l’a suivie dans son ultime voyage, du sol au toit, le tout au son des fanfares. Pour clôturer la soirée, un feu d’artifice a été lancé directement du toit de l’édifice, le tout retransmis à la télévision ! Verrait-on pareille extravagance aujourd’hui ?

Même si, au final, c’est PVM qui a remporté la compétition de la hauteur, la CIBC peut tout de même se consoler, car elle détient un deuxième record, au niveau mondial, celui-là, et jamais égalé : la plus haute tour recouverte d’ardoise au monde !

Ce matériau (ardoise verte des carrières du Lancashire, en Angleterre) est très peu utilisé sur des gratte-ciel. Situé sur les parties opaques entre les rangées de fenêtres, c’est lui qui donne à l’édifice cette teinte verdâtre qui dialogue avec les toitures de cuivre des édifices environnants. 

On trouve sur le toit de l’édifice une antenne d’où sont diffusées les ondes de la station de radio CKOI-FM. Selon les rumeurs, CKOI devrait, cette année, diffuser à partir de l’antenne du mont Royal. Il est prévu que l’antenne de la CIBC soit démolie, puisqu’elle n’aura plus aucun usage. 

PLACE VILLE MARIE (1956-1962)

PHOTO ALAIN ROBERGE, ARCHIVES LA PRESSE

La Place Ville-Marie

Architectes : Ieoh Ming Pie (I. M. Pei & Associates, Henry N. Cobb architecte principal), avec ARCOP, Montréal, architectes associés 

Place Ville Marie est bien connue pour sa forme en croix et ses phares qui balaient le ciel de Montréal depuis 57 ans. Mais peu de gens savent que la « grande dame de Montréal » est un jalon dans l’histoire et le paysage de la ville, le point de départ du centre-ville actuel et de la ville souterraine.

En 1956, les promoteurs ont enfin une occasion de combler l’énorme « trou du CN » et de créer un lieu emblématique pour doter le nouveau centre-ville du cœur qui lui manquait. Il aura fallu beaucoup de vision et malgré les nombreuses contraintes, ils ont su exploiter le potentiel du site pour faire de PVM non seulement une adresse de prestige, mais aussi, en la reliant avec la Gare centrale et l’hôtel Reine Elizabeth, le premier maillon de la ville souterraine devenue avec le temps la plus étendue au monde. 

Le complexe était novateur et d’une ampleur inégalée à l’époque.

Le nombre total de pieds carrés du complexe (hors sol et souterrain) était le plus grand de tous les édifices à bureaux du monde, et sa tour principale est restée pendant quelques années la plus haute du Commonwealth ! Le complexe utilisait une puissance électrique équivalente à celle de 3000 maisons unifamiliales. Le complexe de PVM est si vaste qu’il compte à lui seul 52 codes postaux ! 

En plus d’être le plus gros investissement privé de l’histoire de Montréal, le concept multifonctionnel du projet en fait un pionnier au Canada ; on y trouve sous le même toit bureaux, galerie marchande, restaurants, cinéma, stationnements et la plus grande place publique financée par l’entreprise privée. 

Durant tout le processus de réalisation, PVM attire l’attention des médias locaux et étrangers ; pour la première fois de son histoire et bien avant l’Expo, Montréal intéresse la presse architecturale internationale. En 1962, le magazine américain Architectural Forum décrit Montréal comme « la première ville du XXe siècle en Amérique du Nord ». 

Place Ville Marie, c’est aussi la première galerie marchande souterraine qui vise à faire compétition aux nouveaux centres commerciaux des banlieues. Les commerçants étaient sceptiques au départ, mais l’idée s’est avérée un franc succès et fut abondamment reprise au Canada et ailleurs dans le monde. 

DEMAIN

Le style international dont sont issues les 2 prochaines icônes : Le Westmount Square et la tour CIL (maintenant tour Telus). Vous y retrouverez également quelques informations additionnelles sur la PVM et la tour CIBC, puisqu’elles adoptent également l’esthétique de ce style.

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