L’an passé à la même date, je publiais, dans le cadre de la Journée nationale des peuples autochtones qui se tient le 21 juin, un papier qui faisait le bilan de l’année autochtone.

Un bilan personnel, certes, dont l’épilogue se résumait en cette phrase : « Aujourd’hui, pour la première fois depuis des décennies, il nous est enfin permis de rêver, à tout, à n’importe quoi. Aussi parce que vous êtes là. Et croyez-moi, ça fait drôlement de bien. »

Un an plus tard, les espoirs sont-ils encore au même niveau ? Et surtout, êtes-vous toujours là ?

D’emblée, on ne se cachera pas que l’année a été difficile. L’été dernier a été marqué par le débat entourant l’appropriation culturelle. J’ai eu un an pour réfléchir à la question. 

Pendant un moment, je n’ai plus voulu même en parler. Les discussions entourant le sujet sont épuisantes, partout, se glissant aussi bien dans un souper d’anniversaire que dans un premier rendez-vous. 

Les sentiments sont lourds, sombres et complexes à exprimer en mots. Ils ne sont pas moins vrais pour autant. Plusieurs autochtones ont eu beau répéter sur toutes les tribunes qu’on faisait face à un beau cas de collaboration inexistante et que jamais nous n’avons demandé l’annulation de la pièce Kanata, peu ont entendu. Merci à ceux qui l’ont fait.

Malheureusement, d’autres ont noirci des pages d’encre de controverses, d’idées préconçues et de mots tout faits qu’on nous enfonçait dans la bouche. Où en est-on dans ce dossier un an plus tard ? Sera-t-il relégué au rang des tabous parce que nous ne savons plus faire de nuances dans une polarisation des débats qui ne laisse rien présager de bon ? Pourquoi a-t-on exposé cette problématique en un procès du pour ou contre, vrai ou faux, liberté ou censure ?

Un génocide

Puis il y a eu la question du génocide. Vous cherchez le mot « culturel » ? Vous ne le trouverez pas. Vous serez par contre peut-être surpris d’apprendre que je n’ai pas adopté le terme d’emblée la première fois que j’ai entendu Michèle Audette, commissaire à l’Enquête nationale sur les femmes et filles autochtones disparues et assassinées (ENFFADA), l’employer dans une entrevue qu’elle accordait à Radio-Canada à l’hiver dernier. Les mots doivent être justes ou ils perdent tout leur sens, celui-là surtout.

Comme je le fais souvent, j’ai lu sur le sujet, laissé les choses monter en moi, se placer. Puis, je n’ai plus eu de doute. Il s’agit bien d’un génocide.

Si ma parole ne vous suffit pas, je vous recommande d’aller lire sur le massacre des Béothuks, le pourcentage de morts infantiles dans les pensionnats autochtones, la stérilisation forcée des femmes autochtones (encore en 2017), la guerre bactériologique par la distribution de couvertures variolées sous Amherst, la privation des rations de nourriture des peuples autochtones de l’Alberta ou même chez les Innus de la Basse-Côte-Nord, ou encore l’abattage des chiens de traîneaux dans l’Arctique. Ensuite, lisez le rapport complémentaire rédigé par l’ENFFADA ou tapez « définition de génocide par l’ONU » sur Google.

Dimanche dernier, un sondage de la firme Léger montrait d’ailleurs que 53 % des répondants canadiens étaient d’accord avec l’emploi du terme « génocide » dans le cadre des conclusions de l’ENFFADA contre 34 % qui étaient en désaccord.

Au moment d’écrire ces lignes, le projet de loi C-262, instigué par le député néo-démocrate Romeo Saganash en 2016 et visant à aligner la Déclaration des droits fondamentaux de la personne à la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, agonise dans un Sénat dont certains acteurs multiplieraient les tactiques procédurales pour empêcher l’étude dudit projet de loi avant les élections automnales, alors qu’il a pourtant été adopté par la Chambre des communes en 2018.

La tarte et le buffet

Vient le moment où je vous parle de la tarte. Dans chacun de ces événements, j’ai eu, à une occasion ou à une autre, l’impression que, pour certains, reconnaître les droits des autochtones, leurs doléances, leur liberté de parole, leur choix de mots pour expliquer un état ou un autre était un peu comme si on se retrouvait devant une grosse tarte, appelons-la la tarte de la « majorité ». 

Cette tarte, toujours pour un certain nombre restreint de personnes, je l’espère, se doit d’être protégée à tout prix des autochtones qui empiètent, part après part, sur le dessert tant convoité.

Or, cette tarte n’existe pas. Donner une part à l’un ne veut pas dire enlever une part à l’autre. Là où certains ne voient qu’une simple tarte, j’y vois tout un buffet.

Si on reconnaît des droits aux autochtones, si on accepte leurs mots, si on voit des mains tendues au lieu du spectre de la censure, alors peut-être pourrons-nous avoir encore de l’espoir.

Est-ce qu’on a trop rêvé ? Est-ce que nos rêves doivent se limiter à ce qui ne dérange pas, à ce qui n’ébranle pas les convictions de l’autre ? Si c’est ça, c’est bien dommage, car notre part de la tarte a depuis bien longtemps été mangée.

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