Pour certains, la grossesse « fait la mère » et le nom « fait le père ». Des hommes rompent avec cette tradition et transmettent à leur enfant le nom de l’autre parent (mère ou père). Comment justifient-ils leur choix, alors qu’encore aujourd’hui, le préjugé voulant qu’un enfant qui porte seulement le nom de la mère souffre d’un père absent ? En cette fête des Pères, il est bon de souligner qu’on peut affirmer sa paternité sans nécessairement transmettre son nom.

Au Québec, depuis 1981, donner le nom du père à un nouveau-né n’est plus la seule option possible. De 93 % des enfants recevant à la naissance exclusivement le nom de leur père en 1980, cette proportion est passée à 71 % en 1990, pour s’élever à 85 % en 2010. Pour les 15 % d’enfants qui reçoivent un autre nom à la naissance, les deux tiers d’entre eux héritent d’un nom composé de celui des deux parents et l’autre tiers du nom de leur mère exclusivement.

Dans le cadre de recherches menées avec des collègues sur la transmission du nom, j’ai pu observer différentes tendances. Pour les pères en couple dont les enfants ne portent pas exclusivement leur patronyme, ce n’est pas le signe d’un désengagement paternel ou d’un problème entre les conjoints. C’est plutôt une manière nouvelle, contemporaine, moins soumise aux contraintes sociales et obligations familiales, d’exprimer, en concertation avec leur conjoint ou conjointe, les liens qui les unissent à leurs enfants, leurs parents et leurs lignées.

Faire un nom à partir de celui des deux parents

Ainsi, dans le cadre de mes travaux, un père dit par exemple ne pas avoir souhaité transmettre son patronyme à ses enfants, car il « n’aime pas ce qui s’y rattache ». À la demande de sa conjointe, soucieuse de rendre visible socialement sa paternité, il a accepté cependant d’associer son nom à celui de sa conjointe, créant ainsi un nom nouveau pour ses enfants.

D’autres pères, notamment gais, voient dans la transmission d’un nom composé le moyen de s’identifier publiquement comme pères.

Pour des pères adoptifs, la construction d’un nom qui unit les noms des deux parents est aussi une manière de créer du lien en l’absence d’une filiation génétique, comme le dit Ralph : « Il faut créer des liens […], le nom, ça en fait partie. C’est très, très important. […] en adoption, c’est le seul élément très visible, qu’on voit tout de suite. » Il suggère même que les conjoints devraient avoir la possibilité de prendre ce nom composé qui correspond selon lui à la nouvelle entité familiale créée.

Enfin, d’autres pères revendiquent le choix d’un nom composé par souci d’équité entre les partenaires.

Marc dit par exemple avoir choisi dans son propre nom composé le nom québécois de sa mère (pour sa sonorité et en raison d’un soupçon de nationalisme) pour permettre à sa conjointe de transmettre aussi son nom. Soucieux d’équité, rien ne vient justifier l’effacement du nom de sa conjointe dans celui de leur enfant.

Transmettre le nom de la mère ou de l’autre père

D’autres pères justifient leur choix de transmettre le nom simple de leur conjoint ou de leur conjointe par le rejet des noms composés, qu’ils considèrent comme difficiles à porter, peu esthétiques, ou parce qu’ils anticipent les difficultés que leurs enfants vivront au moment de devoir à leur tour choisir un nom pour leur descendance.

Un couple gai a expliqué que c’est simplement le père le plus attaché à son patronyme qui l’a transmis à leur enfant.

Pour un autre couple gai, c’est le choix du nom québécois qui a été fait, pour anticiper les discriminations possibles à l’égard de leur enfant. Le père qui n’a pas transmis son patronyme (à consonance française) explique néanmoins avoir inscrit son nom dans les prénoms secondaires de son fils. Il signifie ainsi que le choix du nom n’est pas le signe d’un rejet et permet à son enfant éventuellement d’en faire usage plus tard.

Dans d’autres couples, on choisit de donner à un garçon le nom du père et à une fille celui de la mère, pour créer des lignées patronymique et matronymique.

D’autres commencent soit par le parent du même sexe que l’aîné, soit par tirage au sort. Dans cet arrangement, si le premier enfant porte le nom du père (étant un garçon) ou le nom de la mère (car c’est le nom de la mère qui a été tiré au sort), les cadets porteront respectivement le nom de la mère et du père. Les noms de l’autre parent sont inclus dans les prénoms secondaires, tout comme parfois les prénoms des grands-parents. À la tradition se substitue alors une recherche originale de signifier l’identité familiale à travers l’articulation des noms et des prénoms transmis aux enfants.

À l’image de l’évolution de la place et du rôle des pères dans les familles, le nom transmis à son enfant se choisit ainsi aussi aujourd’hui pour s’adapter aux nouvelles réalités, attentes et revendications familiales, parentales et personnelles.

Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion