Trouvez-moi un chef d’État ou de gouvernement qui s’évertue à dénigrer son pays à l’étranger. Je n’en connais qu’un, et c’est le nôtre… qui vient de confesser à la face du monde que le Canada est coupable d’un « génocide » à l’endroit des autochtones.

En septembre 2017, Justin Trudeau avait livré un étrange discours à l’Assemblée générale des Nations unies. Au lieu de vanter les réalisations de son pays et d’énoncer la position du Canada sur les grands enjeux de l’heure, comme le font tous les chefs d’État en mission diplomatique, M. Trudeau avait consacré l’essentiel de son discours à dénoncer le colonialisme « honteux » du Canada envers les autochtones. Un exercice d’autoflagellation vraiment réussi.

Mardi dernier, il a dépassé son propre record en reprenant à son compte l’hyperbole mensongère utilisée par l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées (ENFFADA).

Taraudé là-dessus depuis deux jours par les reporters et quelques militants autochtones, le premier ministre a fini par tomber dans le panneau : « Les commissaires ont trouvé que c’était un génocide et nous acceptons ce qu’ils ont trouvé, y compris que ce qui s’est produit équivaut à un génocide », a bredouillé le premier ministre sur le ton veule d’un enfant pris en faute.

Passe encore que les commissaires aient utilisé ce substantif explosif pour attirer l’attention sur le sort – effectivement tragique – des peuples autochtones. Ce faisant, les commissaires ont malheureusement desservi leur cause et fait dévier le débat sur la sémantique plutôt que sur leurs recommandations. Mais c’est leur choix. Ce qui est grave, c’est que le premier ministre ait avalisé cette expression, l’accréditant de ce fait aux yeux du monde entier.

L’instrumentalisation du concept de génocide – qui implique une persécution systématique et une extermination physique – est particulièrement loufoque dans le cas des femmes autochtones : comme la majorité des victimes ont été assassinées par un de leurs proches, faudrait-il parler d’un « autogénocide » ?

Cette instrumentalisation insensée est odieuse pour les vraies victimes des vrais génocides ; injuste pour le Canada, un pays qui a ses tares et ses torts, mais qui est tout de même l’un des pays les plus progressistes de la planète ; injuste aussi pour les Canadiens, qui auraient donc assisté passivement à un génocide pendant des années sans rien faire pour l’arrêter… ce qui constituerait une abjecte complicité.

Les mots ont un sens ou alors plus rien n’a de sens. Si toutes les misères et tous les malheurs sont des génocides, alors il n’y a plus de génocide.

Le premier génocide enregistré par l’Histoire, celui qui a donné son nom aux (très rares) autres cas reconnus par la communauté internationale, est celui de la destruction des Juifs d’Europe, une opération systématique, minutieusement planifiée par un État qui disposait des moyens les plus avancés. Une opération basée non pas sur l’instinct tribal, mais sur une idéologie à prétention scientifique.

On s’est malheureusement habitué, dans l’atmosphère délétère de confusion linguistique qui est la nôtre, à entendre le mot racisme accommodé à toutes les sauces, mais l’ENFFADA, et Justin Trudeau à sa suite, viennent de démontrer que le mot le plus sacré du vocabulaire politique – sacré du fait de son extrême rareté – peut devenir une insulte ordinaire et qu’on peut maintenant banaliser le pire crime que l’humanité ait connu à ce jour.

Le général Roméo Dallaire, témoin direct du massacre des Tutsis, n’a pas tardé à réagir contre cet abus de langage. « Gardons-nous d’utiliser ce mot à tort et à travers, sinon il se videra de son sens et de l’horreur qu’il représente », a-t-il dit, sans excuser pour autant le comportement historique du Canada envers ses autochtones.

M. Trudeau semble l’ignorer, mais il n’y a jamais eu un État qui ait accepté de se faire qualifier de génocidaire… même quand c’était vrai.

La Turquie se bat bec et ongles depuis des décennies pour nier le génocide commis par l’ex-Empire ottoman à l’endroit des Arméniens. Jusqu’à ce que Jacques Chirac reconnaisse enfin l’évidence en 1995, tous les chefs d’État français avaient obstinément refusé de reconnaître la contribution de la France à la déportation des Juifs vers les camps nazis, sous prétexte que le régime de Vichy n’était pas vraiment la France.

L’accusation de génocide est si grave qu’aucun des ministres du gouvernement Trudeau interrogés à ce sujet n’a voulu la reprendre à son compte. Même les politiciens les plus sympathiques à la cause autochtone, comme la ministre des Affaires autochtones, Carolyn Bennett, et sa prédécesseure Jane Philpott, ont refusé d’y souscrire. Seul le premier ministre a accepté béatement cette étiquette infamante.

Il faut dire que l’ex-juge en chef de la Cour suprême, Beverley McLachlin, l’avait précédé en qualifiant les écoles résidentielles de « génocide culturel ». C’était une intrusion totalement inappropriée dans le champ politique en même temps qu’un jugement de valeur contestable… mais il y avait au moins la nuance apportée par l’adjectif « culturel », qui excluait l’élément de destruction physique délibérée.

Même si cet aberrant aveu de culpabilité de la part du premier ministre n’était pas susceptible d’entraîner des répercussions juridiques sur la scène internationale (c’est du moins ce qu’on croit dans l’entourage de M. Trudeau), la tache est là, et elle est ineffaçable dans la mesure où l’aveu de culpabilité provient non pas seulement d’un groupe militant porté à l’exagération, mais du plus haut représentant officiel du pays.

D’ailleurs, l’Organisation des États américains, « profondément consternée », compte faire enquête sur le « génocide canadien ». Ce n’est que le début d’une réaction en chaîne enclenchée par le premier ministre lui-même.

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