Le débat actuel sur la laïcité est celui d’une saine démocratie dans laquelle les conflits sont pacifiés dans l’arène politique. C’est parce qu’elle est pluraliste que la société québécoise peut ouvertement discuter d’un enjeu aussi central. Cette conversation civique oppose deux principales conceptions du vivre-ensemble. L’Assemblée nationale est toute désignée, comme organe d’expression du peuple, pour aménager les libertés communes et arbitrer les conflits liés à leur interprétation.

Les gouvernements québécois puisent souvent dans la mémoire de la Révolution tranquille, moment fort de l’histoire québécoise, pour justifier leurs actions. Dans le présent débat, les tenants et les opposants du projet de loi 21 se reportent presque tous à cette époque où le Québec serait subitement entré dans la modernité. Alors que les premiers veulent adopter ce projet pour « compléter l’œuvre de la Révolution tranquille », les deuxièmes veulent le rejeter pour ne pas la trahir. Si l’histoire demeure un point d’appui, les intervenants devraient garder en tête qu’une société s’édifie en fonction des défis actuels et futurs, et non pas les yeux rivés vers le passé.

Le politique, outil de réconciliation

Certains invoquent le nécessaire pluralisme pour contester le projet de loi du gouvernement Legault. Le pluralisme est un fait heureux et indéniable. Toutefois, son versant religieux (et non proprement culturel) peut entrer en contradiction avec lui.

Ces dernières années, le multiculturalisme canadien s’est porté à la défense d’une multitude de conceptions du monde, dont certaines demeurent incompatibles avec le pluralisme tel que conçu dans les sociétés occidentales.

C’est là qu’intervient le rôle du politique : sous sa forme religieuse, la diversité doit être minimalement encadrée, sans quoi elle peut finir par compromettre le contrat social. Une société démocratique ne saurait, par exemple, tolérer l’intolérance (Karl Popper). Puisque les religions sont fondées sur des dogmes qui s’excluent les uns les autres, il convient de leur imposer des limites. Dans cette optique, la laïcité protège le débat et les individus.

Avec Justin Trudeau, le Canada serait devenu le « premier État postnational au monde ». Pourtant, la nation demeure le seul cadre dans lequel la démocratie peut s’exercer. Le libéralisme doit s’appuyer sur un peuple pour ne pas mener à la division sociale. Dans ce contexte, l’utilisation de la disposition de dérogation est non seulement indiquée, mais souhaitable.

Le ministre de l’Immigration, de la Diversité et de l’Inclusion, Simon Jolin-Barrette, a affirmé que « jamais un gouvernement du Québec ne doit laisser un pouvoir qu’il est allé chercher dans le cadre d’une de ses compétences ». Nous l’invitons à suivre son raisonnement qui a aussi été celui du gouvernement Lévesque, en 1982, alors qu’il a soustrait l’ensemble de la législation québécoise, par l’adoption d’une loi omnibus, aux articles 2 et 7 à 15 de la Charte canadienne. Cela permettrait de consolider le droit du Québec à la continuité historique, en accordant une certaine prééminence à la Charte québécoise. La laïcité doit protéger la spécificité du Québec à l’intérieur d’une fédération qui la refoule.

L’inversion du progressisme

La plupart des opposants au projet de loi croient se conformer à l’esprit des années 60. Ils estiment que la loi va à l’encontre du progrès social, dont l’État québécois s’est fait le promoteur avec la Révolution tranquille. Mais n’est-ce pas le progressisme qui a changé de signification ?

Il existait une époque où les progressistes combattaient le clergé catholique. En France, la loi de 1905 sur la laïcité n’a jamais été vraiment digérée par l’Église.

Aujourd’hui, une majorité de progressistes défendent bec et ongles des groupes religieux alors qu’ils les voyaient autrefois comme de véritables oppresseurs.

Signe de ce grand renversement, la co-porte-parole de Québec solidaire, Manon Massé, a comparé la « peur » des signes religieux chez les enseignants à l’homophobie. Pourtant, l’homophobie s’enracine encore dans plusieurs courants religieux. Comment des progressistes peuvent-ils invoquer l’héritage de la Révolution tranquille alors qu’ils défendent des groupes dont certains d’entre eux favorisent la « reconfessionnalisation » des institutions publiques ? C’est un phénomène que le sociologue Guy Rocher a dit redouter en commission parlementaire.

Le parallèle de Mme Massé confond également l’inné et l’acquis, autrement dit la nature et la culture. Un individu peut changer de religion, mais il est rare qu’il puisse changer d’orientation sexuelle. C’est aussi pour rompre avec ce genre de vision réductrice que le gouvernement souhaite faire adopter sa loi.

Le multiculturalisme tend à enfermer les gens issus des minorités religieuses dans des identités étanches, comme si leurs signes religieux étaient le pur prolongement d’eux-mêmes. La religion n’est pas une réalité biologique. En distinguant la nature de la culture, le gouvernement Legault s’inscrit dans la pure continuité de la tradition humaniste occidentale.

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