Qui vit par l’épée périra par l’épée, dit l’adage. Le même sort attend ceux qui ont bâti leur carrière sur le charme. Ils périront lorsqu’ils auront cessé de charmer, car vient un moment où la magie n’opère plus.

L’actrice qui avait grimpé les échelons grâce à son look ne trouvera plus de rôles passé la quarantaine, tandis qu’une Catherine Deneuve, qui offrait autre chose que sa beauté, restera toujours à l’affiche. Même chose pour les politiciens.

En 2014-2015, le Canada anglais s’était pris d’une passion romantique pour Justin Trudeau. Le charisme. Beau garçon, sourire irrésistible, manières aimables, adorable petite famille, avec en plus ce qu’on appelait la « gelée royale », l’irrésistible pedigree de la dynastie Trudeau… C’est terminé.

Avec une surprenante unanimité, les commentateurs du Canada anglais viennent de découvrir que le premier ministre qu’ils encensaient il y a peu de temps est un poids léger.

C’était pourtant très évident bien avant son ascension politique.

Il avait certes de la ténacité, et un talent politique manifeste, particulièrement durant les campagnes électorales. Mais nul n’ignorait que M. Trudeau ne se distinguait pas par son envergure intellectuelle et qu’il n’était pas préparé à la fonction de premier ministre. À l’université, il avait flotté d’une faculté à l’autre sans décrocher autre chose qu’un bac, et n’avait jamais occupé un emploi sérieux, exception faite peut-être des deux ou trois années où il avait enseigné le théâtre dans une école secondaire de Vancouver.

Pourtant, les ténors des médias anglophones s’étaient mis dans la tête que Justin Trudeau allait révolutionner la politique et faire du Canada une terre promise où régneraient les plus nobles idéaux et la transparence absolue. Ses envolées sentimentales (« les voies ensoleillées »…) frappaient l’imagination, de même que ses « coups » symboliques : plus de la moitié de ses ministres étaient des femmes et des sikhs, et une militante autochtone accédait à la justice !

Les beaux esprits des médias anglophones sont tombés de haut quand ils ont constaté que derrière le magicien, se trouvait un politicien ordinaire, c’est-à-dire opportuniste à ses heures, préoccupé par sa réélection, soucieux de ménager la chèvre et le chou… Cruelle déception, qui ressemble fort à un violent chagrin d’amour doublé d’un sentiment de trahison.

Nos collègues du Canada anglais lui reprochent maintenant toutes sortes de choses qu’ils auraient pardonnées chez n’importe qui d’autre, jusqu’à le traiter d’« imposteur », comme l’a titré récemment le Maclean’s… qui n’en était pas, faut-il dire, à sa première crise d’hystérie.

On l’accuse même d’avoir renoncé à réformer le système de scrutin ! Comme s’il était inhabituel qu’un chef de gouvernement revienne sur une imprudente promesse électorale. Jean Chrétien n’avait-il pas promis d’abolir la TPS ?

Ce n’est pas Trudeau lui-même qu’il faut blâmer pour ce brusque changement d’humeur de ses admirateurs, c’est la naïveté abyssale de ceux qui s’étaient imaginé qu’un premier ministre proche de la génération des milléniaux changerait l’eau en vin et marcherait sur les eaux.

À tout prendre, Justin Trudeau aurait, en fait, beaucoup plus de convictions fermes que n’en avaient les Mulroney et les Chrétien, ces politiciens efficaces et pragmatiques. Hélas, M. Trudeau a mal digéré ses idéaux.

Il est envoûté par deux idéologies : un multiculturalisme excessif, qui a atteint des sommets dans le ridicule, et un féminisme primaire.

Il voit tous les enjeux à travers ces prismes-là, qu’il s’agisse de choisir ses ministres ou de définir des priorités politiques. C’est ce qui explique son désarroi quand il s’est trouvé violemment dénoncé par Jody Wilson-Raybould, qui était l’incarnation même de ses propres partis pris : une femme et une autochtone ! Mulroney ou Chrétien auraient balayé cette controverse en deux jours. Pas lui.

La dégringolade des libéraux est essentiellement due, tout autant que leur victoire de 2015, à la personne même de Trudeau. Et elle est vertigineuse : une vingtaine de points en deux ans et demi, et ce, alors que l’économie va bien et que les deux principaux chefs de l’opposition n’ont rien de redoutable.

Au Québec, Justin Trudeau n’a jamais déclenché les mêmes réactions extrêmes. Le PLC l’a facilement emporté en 2015… parce que c’était un Trudeau, qu’on voulait du changement et que les Québécois sont à l’aise avec la « marque » libérale. Mais cela se fit sans euphorie, sans la « trudeaumanie 2.0 » qui balayait au même moment le Canada anglais. De la même façon, il n’y a pas ici de « désamour » palpable ; le PLC reste en tête, quoique avec quelques points de moins qu’auparavant.

PHOTO SEAN KILPATRICK, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Justin Trudeau devant le Temple d’or, à Amritsar, 
en Inde, en février 2018

À quel moment la magie a-t-elle cessé d’opérer ? D’après les sondages, ce serait à partir du désastreux voyage en Inde.

Se sont rajoutées, en vrac, ses tergiversations sur les oléoducs qui ont mécontenté tout le monde, à gauche comme à droite, l’impression diffuse que le premier ministre n’est pas à la hauteur… Trop de selfies, pas assez d’action.

Le faux scandale du Globe and Mail sur l’affaire SNC-Lavalin est tombé à plat, mais ces péripéties ont projeté pendant trois mois l’image d’un chef désemparé, lâché par son bras droit, et incapable de reprendre pied. Un nouveau scandale — le retrait des poursuites contre le vice-amiral Norman —, dans lequel Trudeau a joué un rôle majeur, va le fragiliser encore davantage.

Au Canada anglais, l’affaire SNC-Lavalin a fait resurgir une grosse vague de Québec bashing, en faisant mousser la légende d’un chef québécois au service d’« une multinationale corrompue du Québec ». C’était de la bouillie pour les chats, mais la politique est affaire de perceptions, aussi tordues soient-elles.

Le gagnant de cet épisode navrant est le Parti conservateur, qui a acquis une partie de sa popularité actuelle sur le dos du Québec. Les électeurs québécois devraient s’en souvenir.

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