Depuis quelques siècles que nous observons, un peu partout dans le monde, un mouvement intellectuel et social de rationalisation et de sécularisation qui tente de se libérer de la mainmise de la religion dans l’espace politique et public.

La raison qui triomphe, l’émancipation des esprits, l’éclosion des consciences : autant de facteurs qui créent un nouveau paysage culturel et sociétal en Occident, empêchant à juste titre l’hégémonie de la religion sur l’État.

Avec l’immigration massive et le choc des cultures, le respect de la différence et sa réglementation s’imposent de plus en plus afin d’en arriver à un vivre-ensemble harmonieux. Par l’affirmation de sa neutralité, l’État évite les frictions et les conflits et respecte la diversité. Il met sur un pied d’égalité toutes les religions, n’en privilégiant aucune.

Le signe religieux relégué au domaine privé

Afin de maintenir la paix dans le tissu social, le signe religieux perceptible doit nécessairement être relayé au domaine privé et retiré lorsqu’il s’agit de services professionnels rendus par des salariés de l’État en position d’autorité (policiers, procureurs, juges, gardiens de prison, enseignants).

La laïcité est un fruit durement acquis à la suite d’années de réflexion et de maturation. 

Sociologues, politologues et juristes de plusieurs pays l’ont préconisée et adoptée. Elle s’avère un consensus démocratique pacifiant, un choix de société ouverte, libre, responsable qui refuse les divisions et les discriminations. Force de constater, aujourd’hui, qu’elle est encore mal comprise et demeure malheureusement un combat. Elle provoque une polémique à cause d’une mauvaise interprétation de sa juste intentionnalité.

En exigeant de faire disparaître tout signe religieux de ses services publics, l’État n’agit contre aucune religion. Au contraire, il les respecte toutes et respecte également l’ensemble des citoyens qui ont le droit de recevoir un service neutre, sans signe distinctif ni prosélytisme, ni instrument visuel d’affirmation identitaire.

L’État de droit sécularisé, qui accorde ses services par des personnes agissant en son nom, est légitimement tenu de gérer le code vestimentaire approprié et le port de signes visibles inadéquats.

Devoir de réserve

Prenons l’exemple d’un fonctionnaire affichant son allégeance à un parti politique X, qui offre un service à un autre citoyen partisan d’un parti politique Y. Ce dernier se sentirait nargué, délibérément exposé à une situation qu’il n’apprécie pas, puisque les signes parlent fort. Cela créerait des divisions, manquerait de respect et de jugement, car l’espace strictement de service ne peut guère servir d’espace de propagande. Le devoir de réserve et d’impartialité, découlant de l’éthique citoyenne, recommande l’abstinence de toute provocation inutile, y compris symbolique.

C’est une exigence professionnelle, pour un employeur, d’imposer une politique de neutralité d’une façon cohérente et systémique dans ses édifices, et de traiter tous ses salariés de la même façon, sans accorder de privilèges dans le cadre des heures et du lieu de travail. Il garantit ainsi la liberté de croyance (et l’esprit de sérénité) à toutes et à tous.

Ce serait mal intentionné d’accuser un tel cadre disciplinaire de racisme, d’exclusion ou de xénophobie. Ne pas afficher ses croyances alors qu’on est en fonction est, le moins qu’on puisse dire, respecter l’autre, faire montre d’esprit démocratique, de civisme et de savoir-vivre-ensemble, si on ne veut pas porter atteinte aux droits de la démocratie qui doivent prévaloir au-delà de tout. À mon avis, ce phénomène est moins religieux qu’éthique. 

L’égocentrisme et les convictions personnelles d’une croyance privée ne peuvent, dans un État de droit, supplanter le droit commun.

Les religions sont généralement réfractaires à la laïcité, car elles se sentent exclues, limitées dans leur champ d’expression. Elles voudraient bien envahir l’espace public, reprendre de la visibilité et imposer leurs diktats à la société civile. La démocratie laïque nous incite à leur opposer un refus et à résister.

« Il faut rendre à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu » signifie, sans tomber dans les dilemmes politiques et religieux, qu’il serait de mise de séparer les affaires de Dieu de celles de l’État. Cette sage recommandation demeure litigieuse et nébuleuse. Chaque partie tire la couverte de son bord.

Qui voudrait d’un retour à un système politique sous la tutelle d’un fantôme religieux oppressant ? Les premiers à la dénigrer seraient ceux-là qui rejettent la laïcité.

Une société sécularisée n’accepte plus d’être régentée par un modèle obsolète. Les éléments religieux ne doivent relever que du domaine privé par égard pour la majorité qui n’y adhère pas. C’est de la sorte que l’on construit une vie en société laïque, exempte de risques de friction, sans signe distinctif qui impose directement ou indirectement un référentiel symbolique ou idéologique quelconque.

Ainsi, les différences, éminemment personnelles, non imposées aux autres dans la fonction publique, ne seront pas cause de division et ne nuiront pas au bon fonctionnement de l’être-ensemble.

Attentif à la mutation et aux besoins de la société québécoise, fort de sa popularité, François Legault va jusqu’au bout de sa promesse électorale et dépose le projet de loi 21 sur la laïcité de l’État. Ce règlement nous fera enfin entrer dans l’ère postmoderne avec le souci du respect de toutes et de tous.

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