Quand on travaille sur le sujet de l’égalité femmes-hommes en politique, on prévoit les obstacles : méconnaissance du sujet et des enjeux, résistance au changement, mais ce à quoi on pense peu, porté par l’enthousiasme de la cause, c’est la fragilité des progrès.

Le 16 avril dernier, les Albertains ont congédié la dernière femme qui était encore première ministre au Canada.

Espoirs déçus

Je me remémore les grandes envolées optimistes des observateurs, des féministes, des politiciennes, et les miennes aussi : en 2013, six femmes gouvernaient cinq provinces et le territoire du Nunavut, et voilà qu’on croyait le temps des femmes arrivé. On s’enorgueillissait du fait qu’elles représentaient plus de 80 % de la population canadienne, mais comme on le voit, ça n’a pas duré. Il est survenu en six ans ce qui se passe depuis toujours : les femmes leaders sont rares, et si on se fie au nombre de députées qui occupent les sièges de la Chambre des communes au jour d’aujourd’hui, nous ne sommes pas près de voir la parité dans cette assemblée, et donc encore moins de leaders féminines.

Le Canada occupe le 62e rang mondial pour le nombre de femmes députées, et la remontée des conservateurs, qui comptent encore moins de femmes, n’augure rien de bon.

Bien que le lieutenant conservateur au Québec dise être entré dans la zone de parité en présentant 41 % de candidates dans la province, les conservateurs du pays sont à la traîne avec 27,7 % de candidates, selon les derniers chiffres (15 avril, dans la Vigie parité du Devoir).

Difficile avancement

L’affaire SNC-Lavalin a peut-être discrédité Justin Trudeau sur le thème du féminisme, mais c’est encore lui et son gouvernement qui en ont pourtant fait le plus depuis longtemps. On peut avoir toutes les raisons de le critiquer, ce gouvernement a tout de même créé un ministère des Femmes et de l’Égalité des genres et c’est un choix audacieux. Une vraie manne par les temps qui courent.

Si l’on tient compte du fait que le nombre de femmes députées ne progresse pas sur le plan fédéral ; qu’un premier ministre qui se dit féministe, malgré son cabinet paritaire, n’a pas réussi à imposer une nouvelle règle de parité ; et que son gouvernement n’a pas soutenu la proposition du député néo-démocrate Kennedy Stewart pour imposer cette règle (le projet C-237, 2015), que doit-on attendre du prochain gouvernement ? Car c’est mathématique : plus il y aura de députées, plus nous aurons de chances de voir émerger d’autres femmes leaders.

Concours de féminisme

Au début du mois d’avril, à l’occasion des Héritières du suffrage, un événement qui souhaite sensibiliser les jeunes femmes à l’engagement politique, le débat a porté sur le faux féminisme de Trudeau. On était en pleine crise post-SNC-Lavalin et, lors de la période des questions du 3 avril, le chef conservateur Andrew Scheer a bombardé Trudeau de questions sur sa façon de traiter les femmes de son gouvernement (en faisant allusion à l’expulsion de Jody Wilson-Raybould et Jane Philpott) ; le chef libéral a répondu de son engagement féministe chaque fois avec véhémence. Il a aussi profité de cette occasion pour se réjouir tout haut du fait qu’il y ait un débat, en ce moment en pleine Chambre des communes, pour savoir lequel des deux chefs était le plus féministe. Touché. Mais il faudrait que ce combat de coqs aboutisse à des résultats concrets…

Les absentes

On dit ce gouvernement faussement écolo, pas vraiment engagé dans une réconciliation avec les autochtones, ni réellement féministe. Pendant ce temps, les gouvernements conservateurs se font élire d’un océan à l’autre, et dans leurs programmes, il n’y a pas de dispositions qui fassent progresser environnement, réconciliation avec les peuples autochtones et féminisme.

Alors, quand reverrons-nous des femmes cheffes de gouvernement ? Si vous considérez que ce n’est pas si grave, il y a lieu de s’inquiéter. Si vous croyez que les choses évolueront naturellement, on a la preuve, s’il en fallait encore, que ce n’est pas le cas : « naturellement », il n’arrive jamais rien de nouveau en politique, sinon la reproduction des privilèges et des habitudes.

Si l’on souhaite que la représentation des femmes en politique soit équitable, il faut y travailler, modifier les règles du jeu pour orienter les résultats. À moins, et j’espère que j’ai tort, que l’on ne veuille pas vraiment que ça change. Et que la classe politique se contente du statu quo.

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