Mes étudiants viennent de quitter ma salle de cours. Seul, je ramasse tranquillement mes papiers, sourire aux lèvres. C'est que je suis content du cours que je viens de donner. Le courant est passé, quelque chose s'est produit.

Vous connaissez le mythe de Prométhée ? C'est de lui qu'il était question aujourd'hui.

Prométhée, dont le nom signifie «celui qui pense en avance», est le fils de Japet, un Titan de la première génération des dieux grecs. Son titre de «bienfaiteur des hommes» lui viendrait du fait qu'il aurait dérobé aux dieux de l'Olympe la «brillante fleur du feu qui crée l'art», comme le dit Eschyle, pour l'offrir aux mortels qui, jusque-là, vivaient comme des animaux.

Pauvre Prométhée, il aura à subir la colère de Zeus pour sa bravade et son larcin. Obéissant aux ordres du roi de l'Olympe, Héphaïstos, le dieu des forgerons, aura la pénible tâche d'aller enchaîner Prométhée à un rocher en guise de punition pour avoir transmis aux éphémères le feu précieux qui leur permit de s'épanouir et d'échapper à leur triste condition...

TRANSMETTRE LE FEU

Et là, seul dans cette classe, je me mets à réfléchir sur la réelle utilité d'un établissement d'enseignement. Pourquoi construisons-nous des écoles ? Pour quelle raison demandons-nous aux étudiants de venir s'asseoir dans une salle de cours ? Est-ce uniquement pour y ramasser de l'information que leurs professeurs leur transmettront ? Si c'est le cas, pas la peine d'investir des millions de dollars dans du béton. Tout ceci pourrait se faire à distance, à l'aide d'internet et d'un ordinateur.

Non, l'essentiel est ailleurs. La mission de l'enseignant, à l'exemple de Prométhée, consiste avant tout à transmettre le feu sacré, à embraser ce savoir qu'il veut partager : «L'esprit humain n'est pas comparable à un vase qu'on remplit, mais bien plutôt à une matière combustible qu'une étincelle peut enflammer», nous dit Thomas de Koninck, en paraphrasant Plutarque.

L'enseignant, passionné par son métier, est bel et bien cette étincelle grâce à laquelle un savoir devient vivant et par le fait même comestible pour l'élève, seul moyen de cultiver sa vie intérieure.

Les Athéniens ont jadis érigé le Parthénon, ce temple de marbre, pour abriter et honorer Athéna, leur divinité protectrice. De notre côté, nous avons construit écoles, cégeps et universités, nos sanctuaires modernes, afin de rendre possible des échanges authentiques, sorte de communion, entre les enseignants et leurs élèves.

LES RAPPORTS HUMAINS MENACÉS

Malheureusement, c'est la qualité de ces rapports humains qui est de plus en plus menacée aujourd'hui face à la présence grandissante des technologies de l'information et de la communication (TIC) dans nos établissements d'enseignement. Attirés par ces technologies comme des papillons de nuit par les lumières des lampadaires, plusieurs enseignants finissent par renoncer à ce rapport direct et privilégié avec les étudiants grâce auquel le savoir se communique yeux dans les yeux, d'âme à âme. Communiquant par écrans interposés, trop d'enseignants en viennent ainsi à oublier, comme nous le dit Jean-Claude Michéa, que «ce que la machine peut inculquer c'est, au mieux, un savoir coupé de ses supports affectifs et culturels et par conséquent privé de sa signification humaine et de ses potentialités critiques».

C'est ainsi que pour se dispenser d'enseigner, certains ne jurent que par la classe inversée. Pour camoufler leur manque de formation dans leur discipline, d'autres ont adopté cette idée qu'il fallait se mettre au niveau de l'étudiant et qu'il était cool de contempler des écrans. Ne parvenant plus, à la suite de cette démission, à capter l'attention de leurs élèves, certains s'imaginent alors qu'ils y arriveraient plus facilement en équipant les salles de cours de ballons, de bureaux debout ou de vélos-pupitres.

Bientôt, un pédagogue chevronné viendra nous dire que le port du casque de réalité virtuelle, de par ses propriétés ludiques, permet d'augmenter significativement l'attention et les taux de réussite chez les élèves. Vous savez quoi ? Ils seront plusieurs à exiger cette nouvelle panacée, supposément pour le bien des élèves.

On dit de Prométhée qu'il a ouvert la voie du progrès aux mortels. Malheureusement, trop d'enseignants aujourd'hui croient que progrès est synonyme d'avancées technologiques et qu'être progressif consiste alors à plonger tête première dans cette mer d'outils et d'applications que les marchands du temple leur proposent.

En s'entêtant à être branchés à tout prix et à brancher tous ceux qui les entourent, pas surprenant que ces Prométhée enchaînés finissent par oublier le sens de leur profession, celle d'allumeur et de passeur de feu.

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