Plusieurs personnes se vantent d'être des esprits libres. Qui peut vraiment l'être dans les faits ? L'internet regorge maintenant de « trolls » argumentant de façon plus ou moins soutenue sous un avatar. D'autres utilisent des costumes de nounours anarchistes ou des masques symboliques. Pourquoi sont-ils si nombreux à se cacher derrière un filtre d'identité ?

Les entreprises et les organisations font maintenant signer des codes de conduite ou d'éthique limitant la capacité de s'exprimer librement de façon publique. En somme, le message générique peut ressembler à « en aucun temps, je ne porterai atteinte à la réputation de l'entreprise X ou de ses clients par des comportements ou propos inappropriés ». En apposant sa signature à cette affirmation, le travailleur porte des menottes à temps plein sur ses lèvres.

Ces contrats peuvent être interprétés de multiples façons. Qu'est-ce que l'entreprise juge comme inapproprié ? En outre, on peut ajouter les nouvelles clauses sur l'utilisation des courriels et médias sociaux comme Facebook ou Twitter. Évidemment, on ne peut pas négocier ce genre de clause. Il faut signer le code d'éthique pour obtenir l'emploi.

Quand ce ne sont pas les employeurs qui limitent la portée de la diffusion de la réflexion, ce sont les clients. Si bien que peu de gens peuvent aspirer à être de parfaits esprits libres. En fait, il est possible d'être indépendant d'esprit si et seulement si cette indépendance demeure confidentielle. Prendre le risque de perdre des clients en exprimant des opinions économiques ou politiques, le jeu en vaut-il la chandelle ? Dans une situation financière précaire, difficile de faire la tête forte. En d'autres termes, il demeure pénible de se limiter dans sa liberté de réflexion ou de parole lorsque l'indépendance financière ne semble pas acquise.

Puis, viennent les avertissements implicites. Le cas classique : l'interlocuteur envoie un courriel d'insatisfaction à l'individu en mettant en copie conforme (et visible) l'ensemble des intervenants pouvant l'influencer ou avoir droit de vie ou de mort sur la carrière de la personne interpellée. D'autres servent un avertissement sympathique et légèrement subtil.

Par exemple, on termine un courriel par « Votre article démontre une vision à court terme. À votre place, je réfléchirais aux conséquences à plus long terme sur ma carrière. Le Québec est un petit monde... »

Certaines personnes ont de multiples bras longs, très longs. Elles font pression par des intermédiaires. Politiciens, hommes d'affaires ou lobbyistes placent certaines phrases, organisent certaines rencontres.

Et puis finalement, il y a ces patrons qui ont peur d'avoir peur. En somme, étant sur un siège éjectable, ils font de la gestion de risque en pensant à ceux qui pourraient prendre le propos de travers. Dans une prophétie autoréalisatrice, ils se censurent par prévention.

Alors, lorsque l'on se gargarise publiquement à la liberté d'expression, on semble oublier la sentence permanente du monde organisé. On se demande pourquoi certains ne se présentent pas en politique ? Qui voudra brûler les ponts de son avenir ?

Et si tous ceux qui savent parlaient ? Tous ces gens que l'on achète avec une position, des intérêts, des dollars, des menaces, des offres, etc. Quelqu'un quelque part sait. Pour chaque situation, quelqu'un sait et quelqu'un se tait.

Pour un esprit libre, combien de dizaines de personnes font preuve de mutisme volontaire ou forcé ? La liberté d'expression est un mythe que l'on se plaît à traduire par un silence complice. Il y a deux types d'esprit libre : celui qui a tout perdu et celui qui n'a rien à perdre. Entre les deux, il y a de la politique, de la diplomatie, des intérêts et des plans de carrière. Comme disait l'autre : « la liberté n'est pas une marque de yogourt ».

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