Le Canada est le cinquième plus grand producteur d'énergie au monde, derrière la Chine, les États-Unis, la Russie et l'Arabie saoudite. Ces quatre pays, contrairement au Canada, ont le pouvoir d'influencer le cours mondial du pétrole. D'un point de vue stratégique, autant leur production, leurs livraisons et leur demande d'énergie sont suivies et constamment commentées à l'échelle internationale.

Pour le Canada, rien, ou à peu près rien. Si les sables bitumineux font la manchette partout dans le monde, c'est uniquement pour leur impact environnemental - pas pour des préoccupations économiques ou de sécurité énergétique. Qu'est-ce qui explique que loin d'être la superpuissance énergétique que le Canada prétend parfois être, et qu'il pourrait légitimement être en raison de son niveau de production, notre pays n'est qu'un observateur impuissant du monde de l'énergie? C'est la pagaille quasi totale qui règne dans le secteur canadien de l'énergie.

Pour des raisons historiques et constitutionnelles, le secteur des ressources naturelles est sous juridiction provinciale.

Le secteur de l'électricité en est le meilleur exemple: chaque province a son propre système, centré sur lui-même, qui ne prend aucunement en compte les possibilités offertes chez les voisins.

C'est ainsi qu'au Québec, on débat sur les surplus d'électricité que certains pensent ne pouvoir exporter qu'à 3¢/kWh... alors que l'Ontario s'engage dans des projets de réfection de centrales nucléaires à des coûts minimums de 8¢/kWh. Les gouvernements des deux provinces ne commencent qu'à peine à se parler.

Dans le secteur de la production pétrolière, ce sont aussi les provinces qui organisent le tout et récoltent directement les redevances. Le gouvernement albertain peut ainsi financer 20% de son budget annuel d'environ 50 milliards à même les revenus des ressources non renouvelables: 10 milliards par année. À titre de comparaison, le gouvernement québécois reçoit environ 3 milliards de l'hydroélectricité. Aucune épargne n'est faite en Alberta pour d'éventuels jours moins prospères.

Le fédéral joue bien un certain rôle de redistribution de la richesse entre les provinces à travers la péréquation et l'Office national de l'énergie réglemente les projets interprovinciaux. Mais chaque province n'en fait qu'à sa tête. Le gouvernement de la Colombie-Britannique impose des conditions sévères pour s'opposer au projet de pipeline Northern Gateway d'Enbridge, mais compte par ailleurs sur la fracturation hydraulique pour exporter du gaz naturel liquéfié. Simultanément, de leur côté, le Nouveau-Brunswick et la Nouvelle-Écosse sont sur le point d'interdire cette fracturation hydraulique.

Pire, les grands acteurs du monde de l'énergie canadien ne semblent pas s'entendre. Gaz Métro présente le projet Énergie Est de TransCanada comme le symbole de «l'incohérence canadienne en matière d'énergie», un projet qui est pourtant essentiel pour les producteurs albertains, s'ils veulent pouvoir exporter leur pétrole. Mais ceux-ci restent muets sur la place publique, tout comme le gouvernement albertain ou canadien, laissant TransCanada seule à défendre ce projet. L'accueil initial qu'il reçoit au Québec devrait faire retentir la sonnette d'alarme: qui va mettre un peu d'ordre dans cette pagaille?

Les provinces, le gouvernement fédéral, les compagnies d'énergie et la population canadienne gagneraient beaucoup si une plus grande coopération existait. Des normes communes, mais sévères, devraient encadrer la fracturation hydraulique et les émissions de gaz à effet de serre (GES). Une table de concertation pancanadienne devrait être établie pour coordonner le transport d'hydrocarbures pour éviter les développements tous azimuts en transport ferroviaire, en pétroliers sur le Saint-Laurent et en construction de pipelines.

Il est d'autant plus étrange que le gouvernement fédéral ne prenne aucune initiative, dans ce sens qu'on le dit favorable au développement énergétique. C'est par ailleurs son devoir, comme le lui a rappelé la commissaire à l'environnement et au développement durable cette semaine, de mieux coordonner les actions de réduction des émissions de GES. Sans une stratégie globale de collaboration, nous n'échapperons pas à cette pagaille - et ni l'économie ni l'environnement n'en sortiront gagnants.

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