La tension était palpable et le sentiment d'expectative manifeste. La décision de la Cour suprême sur l'aide à mourir rendue vendredi était attendue avec impatience, d'un océan à l'autre.

Le contexte de ce dossier était unique compte tenu de l'évolution des moeurs et de la tendance mondiale au chapitre de l'aide à mourir, mais aussi parce que tous se demandaient si la Cour suprême allait s'écarter de sa propre opinion rendue en 1993 dans la très semblable cause de Sue Rodriguez. À peine 11 années s'étaient alors écoulées depuis l'adoption de la Charte canadienne des droits et libertés et la Cour éprouvait une certaine hésitation à marcher sur les pieds du gouvernement, une attitude qui s'est depuis renversée.

Alors voilà; le suspense a pris fin. Le plus haut tribunal du pays a, à l'unanimité, conclu que l'interdiction de l'aide médicale à mourir est inconstitutionnelle dans certaines circonstances, car elle porte atteinte aux droits à la vie, à la liberté et à la sécurité. La Cour a par ailleurs rejeté l'argument d'Ottawa voulant que le droit criminel ait préséance sur la compétence provinciale en matière de santé, en ajoutant que les deux ordres de gouvernement peuvent validement légiférer sur des aspects de l'aide médicale à mourir.

La Cour renvoie donc le gouvernement fédéral et les provinces à leur table à dessin et les somme d'apporter les modifications nécessaires à leurs lois dans les 12 prochains mois. La tâche s'annonce titanesque puisque la Cour n'a pas donné de détails sur l'application des critères relatifs au groupe d'individus visé, soit les personnes adultes capables; qui consentent clairement à mettre fin à leur vie; qui sont affectées par des problèmes de santé graves et irrémédiables; et dont ces problèmes leur causent des souffrances persistantes et intolérables. Les juges ont toutefois précisé que la souffrance persistante et intolérable peut être de nature physique ou psychologique.

L'exercice commandé était périlleux, mais les neuf juges s'y sont investis avec leur intelligence, leur rigueur et leur minutie.

Ils étaient guidés non seulement par les valeurs canadiennes, mais aussi par la réalité des changements sociaux qui s'opèrent et qu'ils ont reconnus en précisant que «dans certaines circonstances, il faut respecter le choix d'une personne quant à la fin de sa vie».

Audacieuse et moderne

Je suis fière de cette Cour suprême, audacieuse et moderne, qui a courageusement rejeté le statu quo et choisi de suivre la société en confirmant le droit à l'autonomie et à l'autodétermination des individus.

Doit-on néanmoins s'inquiéter pour les plus vulnérables, pour ceux dont le cri qui implore la mort assourdit le murmure d'un appel à l'aide? Avec les balises imposées et l'expérience rapportée ailleurs dans le monde, il est permis de croire que nous éviterons de trébucher sur la pente glissante tant redoutée et que la crainte du bar ouvert de la mort sur demande ne se matérialisera pas.

Ce cuisant revers pour le gouvernement fait par ailleurs office de leçon pour Stephen Harper: sa nomination de sept des neuf juges de la Cour suprême ne peut lui garantir l'adhésion de ce tribunal aux positions du gouvernement conservateur. 1-0 pour l'indépendance judiciaire.

Le jugement sur l'aide médicale à mourir est encore chaud; les commentaires, réactions et réflexions afflueront, mais on peut d'or et déjà affirmer qu'il vient de s'inscrire dans l'histoire de notre pays.

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