Un jeune plombier de 25 ans de la Colombie-Britannique peut aujourd'hui se vanter d'avoir inscrit son nom dans l'histoire judiciaire canadienne. La Cour suprême vient en effet de confirmer que Jeffrey Moore, qui souffrait de dyslexie grave, a été victime de discrimination alors que son école ne lui a pas fourni les services d'aide suffisants dès son entrée à la maternelle.

Le plus haut tribunal du pays a d'abord statué que les élèves présentant des troubles d'apprentissage ont droit à des services adaptés afin que leur droit à une éducation en toute égalité soit respecté. La Cour suprême a ajouté que les commissions scolaires ne pourront pas forcément invoquer des problèmes budgétaires pour se soustraire à leur obligation de fournir l'aide nécessaire. Dommage qu'il ait fallu une bataille juridique de près de 20 ans afin de valider un principe inspiré du gros bon sens.

La Commission des droits de la personne et de la jeunesse souhaite maintenant utiliser l'arrêt Moore comme pierre d'assise dans le dossier de l'intégration d'un élève trisomique dans une classe régulière. La Commission espère que la Cour suprême imposera l'obligation de mettre en place les services adaptés prioritairement dans une classe régulière plutôt que dans une classe spéciale. Or, l'intégration des élèves handicapés ou en difficulté dans des classes régulières met aussi en cause les droits et les intérêts de plusieurs joueurs non moins importants dans la complexe équation scolaire.

D'abord, les autres élèves. Doivent-ils être contraints de rouler dans un train qui avance au ralenti parce que des passagers peinent à y monter? La majorité silencieuse jouit elle aussi de droits garantis par les Chartes et la Loi sur l'instruction publique.

Ensuite, les enseignants. Les professeurs sont formés pour enseigner et non pour faire de l'éducation spécialisée. Les statistiques démontrent également qu'ils sont déjà au bout du rouleau, qu'ils abandonnent en masse la profession et qu'ils héritent souvent de classes, sans ressources ni soutien, où plus de la moitié des élèves présentent des difficultés diverses.

La Commission des droits de la personne plaidera que l'arrêt Moore vient d'établir que les restrictions budgétaires ne sont plus une excuse valable au manque de ressources. Il est toutefois utopique de croire que l'argent se mettra soudainement à pleuvoir sur les commissions scolaires sous l'incarnation de psycho-éducateurs, d'orthophonistes et de psychologues.

L'intégration à tout prix a par ailleurs perdu de son lustre au cours des dernières années et le discours des associations et des parents militant pour l'intégration s'est sensiblement adouci. Les parents d'enfants en difficulté sont désormais nombreux à envisager l'intégration sociale de leur enfant par des moyens autres que les classes régulières.

Intégrer une classe régulière ne devrait pas devenir un droit fondamental de l'enfant en difficulté, mais une possibilité, parmi d'autres, devant être soumise à une évaluation rigoureuse par une équipe multidisciplinaire. Et pareil bilan passe obligatoirement par l'accès à des professionnels qualifiés, et ce dès les premiers signes de difficultés, afin de permettre une intervention précoce et efficace.

Et c'est ici que l'arrêt Moore mérite d'être célébré, car il s'impose comme un puissant incitatif à investir l'argent et les efforts nécessaires à la mise en place des ressources adéquates pour les élèves en difficulté. Quant aux lendemains de l'arrêt Moore, il nous appartient d'appliquer ses principes avec discernement et d'éviter d'abuser de la créativité juridique dans son interprétation.

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