À quelques semaines d'intervalle, le pape François et Mylène Paquette, cette jeune femme ayant traversé seule l'océan Atlantique à la rame, ont enseigné une même leçon, chacun à leur manière: ne vous laissez pas arrêter par la peur et les risques.

Le périple de Mylène Paquette est d'abord un exploit sportif, mais s'il a ému tant de Québécoises et Québécois, c'est par son audace: la jeune femme n'a pas laissé sa peur de l'eau l'empêcher d'accomplir ce qui était non seulement un rêve, mais aussi une tâche à laquelle elle se sentait assignée: sensibiliser les gens à une problématique écologique.

Quant à François, il a plaidé, dans un entretien publié récemment, en faveur d'une Église qui cesserait d'avoir peur de se tromper. Une Église capable de prendre des risques, même si ces derniers mènent parfois au péché. Car le péché jalonnant inévitablement l'aventure de l'existence humaine ne constitue pas un témoignage contre l'Évangile. C'est plutôt le péché d'avoir peur de pécher qui en est un.

Bref, le témoignage de Mylène Paquette, le pape l'adresse à une institution entière: la capacité de prendre des risques est un indicateur sûr de vitalité. Pour l'Église, ça peut vouloir dire décentraliser l'autorité, oeuvrer en association avec des organismes non chrétiens, engager un dialogue sincère avec les cultures actuelles, etc.

Il ne s'agit pas d'agir arbitrairement, ou avec témérité. Mylène Paquette n'a pas entrepris une aventure insensée exigeant qu'elle sacrifie ses raisons d'être, comme sa vie, sa famille. Elle a pris des risques calculés, pour une cause qui en valait la peine. Et c'est cette assomption des risques qui a permis à sa voix, à son message, de traverser l'océan de bruits du monde contemporain pour atteindre nos oreilles.

Pour en revenir à François, sa mise en garde contre la peur de l'échec et du péché vise également à éloigner l'existence chrétienne de l'écueil du ressentiment. On connaît la critique virulente du christianisme faite par Friedrich Nietzsche: cette religion prêcherait une «morale d'esclave». C'est-à-dire que l'exaltation typiquement chrétienne de l'humilité légitimerait les récriminations des personnes s'épanouissant peu à l'égard de celles prospérant davantage.

Quand le ressentiment - souvent malaisé à distinguer d'une juste indignation - forme la pierre de voûte cachée de la moralité, alors «les morts sucent la vie des vivants et essaient de les convertir à leur évangile desséché», selon les mots de l'essayiste québécois Jean-Philippe Trottier. La morale, religieuse ou non, devient alors peur de la vie, haine du prochain. Quand le pape secoue ces «chrétiens qui semblent avoir une face de carême sans Pâques», il cherche à court-circuiter cette perversion du message évangélique.

Certes, on est loin du temps où bien des catholiques, au Québec notamment, se sentaient «nés pour un petit pain», où on suspectait les gens ayant du succès ou innovant audacieusement de pactiser plus ou moins avec Satan. Cependant, le ressentiment de masse façonne toujours, en partie, les moeurs culturelles occidentales.

Souvent associé aux revendications de gauche contre les capitalistes, il joue un rôle moteur plus évident encore dans la montée de l'extrême droite dans des pays comme la France et la Grèce. Ressentiment contre l'Union européenne et les immigrants, dans ce cas-ci. En contexte d'austérité, il semble toujours plus sauf de se barricader dans une identité verrouillée que de risquer une grande aventure commune.

«La peur est le chemin du côté obscur», affirmait Yoda dans La Guerre des étoiles. Pour que les causes qui nous tiennent à coeur atteignent nos contemporains et les inspirent; pour qu'elles ne tournent pas au vinaigre du ressentiment, c'est là un aphorisme que l'on peut bien prendre le risque de méditer religieusement.

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