Depuis dimanche, nous sommes entrés dans l'Avent. C'est «l'avant-Noël», bien entendu, mais surtout une période où les chrétiens se préparent à accueillir le salut advenu en Jésus-Christ, qui adviendra en plénitude à la fin des temps, et qui ne cesse de vouloir advenir dans la vie de chacun. Bref, un temps d'attente joyeuse et confiante.

Peu d'éléments de l'héritage chrétien paraissent aussi démodés que cette attente voulue et consciencieusement vécue. À l'ère des cartes de crédit et des applications pour téléphone intelligent se bousculant pour nous divertir en toutes circonstances, ne peut-on pas satisfaire nos désirs presque instantanément? À quoi peut bien servir encore de cultiver l'art de l'attente?

En fait, aujourd'hui, seuls les enfants, et bien malgré eux, vivent le mois de décembre dans l'attente. Car pour court-circuiter les délais entre une soif et son étanchement, il faut en avoir les moyens. Pendant que les adultes passent leur Avent dans les magasins et les partys de bureau, les enfants doivent attendre le 24 à minuit pour célébrer. Le jour de Noël, après un fiévreux décompte des «dodos», ils ne sont pas déjà à moitié rassasiés comme leurs parents. Pour eux, la fête commence. Enfin.

À l'épicerie du vendredi soir, mon père achetait deux sacs de croustilles. Quand on en avait vu le fond, il fallait attendre au vendredi suivant. Or, dès que j'ai eu de l'argent de poche, j'ai fréquenté le dépanneur pour en manger à volonté, des croustilles. Au début, quelle liberté! Mais quand mon père revenait de l'épicerie, nulle frénésie joyeuse désormais. J'ai fini par comprendre que l'attente exacerbe le désir. Et donc son assouvissement.

Les enfants ont également l'avantage d'être sans illusion sur leur besoin d'autrui. Pour savoir attendre, il faut d'abord prendre conscience qu'il nous manque un je-ne-sais-quoi que l'on ne peut pas s'acheter, que l'on ne peut recevoir que des mains d'un autre. 

C'est un peu ça le salut: un amour qui nous manquait et qui surgit, par-delà notre envie de tout régenter, comme un don. Et un don plus chaleureusement accueilli quand il est attendu dans la vigilance du désir.

Par ailleurs, si les enfants vivent dans un état de dépendance les introduisant de force aux grandeurs et tiraillements de l'attente, ils deviennent libres de consolider ou de liquider cet apprentissage lorsqu'ils gagnent en autonomie. L'Avent, par-delà sa fonction religieuse, peut servir à cela: raffermir sa capacité de désir, en harnachant ses pulsions consuméristes.

Mais tout ça sonne un peu égoïste, pour l'instant. Et infantilisant: s'agit-il vraiment de se croiser les bras et d'attendre le salut, le bonheur, comme les plus jeunes attendent le Père Noël?

Le poète William Blake écrivait: «Celui qui désire, mais n'agit point, engendre la peste». De fait, chacun peut désirer, fantasmer dans son coin. Mais attendre ainsi nous place en quarantaine les uns par rapport aux autres.

Le type d'attente qui rend le désir fécond, pour soi et pour la société, implique l'action. Non pas l'action de satisfaire au plus vite son propre désir; plutôt celle de combler l'attente de salut des gens qui nous entourent. Car si le bonheur vient «à la bonne heure», à son heure à lui, il voyage principalement par voie humaine. Nous ne soupçonnons pas à quel point nous répondons à l'attente secrète de bien des personnes pour autant que nous fassions un pas vers elles.

Être émissaire du bonheur d'autrui: voilà qui mérite d'être ardemment désiré. Mais c'est là un désir dont on ne peut acheter l'assouvissement. On fait de notre mieux, et cela vient comme un don. Comme une grâce. Une grâce qui est reconnue comme telle par qui sait l'attendre.

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