Cher Parti québécois,Je brûle de vous convaincre de renoncer à votre projet de charte; mais comme les arguments ne semblent plus porter, en désespoir de cause, je serai plus lyrique cette fois. Et évoquerai ce qui vous tient vraiment à coeur.

J'y vais donc d'un aveu: je suis un souverainiste mou. Je sais, à vos yeux, c'est honteux. Vous suspectez une tare intellectuelle, une faute morale, n'est-ce pas? Quand l'illumination souverainiste frappe, la seule réponse adéquate n'est-elle pas d'en parler constamment, avec l'ardeur d'un nouveau converti, comme Bernard Landry à Tout le monde en parle?

Mais c'est ainsi, je n'y peux rien. Il faut dire que je n'ai pas connu les grands combats pour sortir de l'aliénation. Lors du dernier référendum, je n'avais pas l'âge de voter; mais vivant dans la crainte que mes parents fassent faillite, j'étais hypersensible aux arguments économiques contre la séparation. Puis j'admirais Wayne Gretzky: pas question que mon équipe nationale de hockey en soit privée.

Depuis quelques années, c'est différent. L'argument économique ne m'impressionne plus. Même si les prophéties de malheur se réalisaient, je sais désormais, étant moi-même indépendant, que l'on peut être heureux avec peu lorsque l'on vit librement.

Bref, je suis devenu souverainiste, mais sans expérimenter une conversion foudroyante à la saint Paul. Je n'ai pas eu la révélation, comme vous, que l'indépendance viendrait concrétiser le seul destin national viable et digne. Seulement, j'ai mes raisons de croire que la souveraineté est le plus bel avenir pour le Québec.

Le plus bel avenir: mon appui provient donc largement d'une intuition esthétique. Je suis un «souverainiste-esthète». D'où la mollesse de ma conviction. Mais je le répète: je n'y peux rien. Et je constate que je suis loin d'être isolé. Prenez-en acte: l'indépendance du Québec ne se fera pas sans les mous. Sans tous ceux qui, comme moi, attendent d'être séduits pour réintégrer la grande marche.

Oui, il me faudrait être séduit. Vous, vous rêvez le pays depuis si longtemps qu'il est devenu une évidence. Mais cette évidence, elle est invisible. Il faut la donner à voir. Croyez-moi, comme homme de Dieu, je sais qu'il est laborieux de faire apparaître devant autrui ce qui constitue une évidence pour soi. Le feu de la conviction amoureuse ne se propage pas aisément.

Mais il faut essayer de trouver les mots. «Je voudrais t'aimer comme tu m'aimes, d'une seule coulée d'être comme il serait beau». Voilà qui fait vibrer quelque chose en moi.

Malheureusement, vous ne me parlez guère d'amour avec votre charte. Miron intitulait son poème Avec toi. Le pays doit naître dans l'amour, d'une seule coulée. Avec le projet de charte, vous dites plutôt: sans Montréal. Sans les minorités religieuses. Et dans le viol des libertés individuelles.

Vous éteignez la délicate foi souverainiste des esthètes comme moi, car le tableau que vous peignez du «Québec de la Charte», dans laquelle vous avez inséré l'image subliminale de la souveraineté, est carrément repoussant. Un Québec en banlieue du monde, avec ses clôtures blanches encadrant une pelouse impeccable, car traitée aux pesticides d'interdits agressifs. En plus: un manque de couleurs et de symboles, des clichés à la pelle, des personnages caricaturaux. On dirait un peuple en train de se ratatiner.

«On n'est pas un petit peuple, on est peut-être quelque chose comme un grand peuple». Or un grand peuple ne se replie pas sur lui-même par peur de l'autre: il agit en souverain, confiant en sa propre force.

Voilà. J'attends votre réponse. Une réponse inspirante si possible.

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