Le groupe État islamique (EI) fait de nouveau parler de lui. En une semaine, il a capturé Ramadi, une importante ville irakienne. C'est la deuxième grande ville d'Irak après Mossoul à tomber entre ses mains depuis moins d'un an. Hier, c'était au tour de l'antique cité de Palmyre, en Syrie, à succomber. L'EI est-il devenu invincible ?

Malgré ses ramifications en Syrie, l'EI demeure un phénomène irakien. Le groupe est la fusion de plusieurs entités irakiennes - groupes terroristes, membres de l'ancien régime de Saddam Hussein, milices et bandes armées - aux intérêts parfois opposés, mais unies autour d'une identité religieuse, sunnite, et d'une cause, leur détestation du régime en place à Bagdad dominé essentiellement par les chiites. Bien entendu, le conflit en Irak ne se réduit pas seulement à sa dimension religieuse, comme le décrit l'excellent reportage de Patrick Graham dans la dernière livraison du mensuel canadien The Walrus.

Les succès militaires de l'EI se nourrissent aussi des divisions politiques qui existent en Irak et dans la région.

Les différentes composantes ethniques et religieuses en Irak ont été tenues d'une main de fer pendant le long règne de Saddam Hussein, un sunnite. Depuis son renversement en 2003, les Kurdes au nord ont gagné une large autonomie qu'ils ne sont pas disposés à abandonner devant Bagdad alors que les Arabes sunnites, au centre et à l'ouest, ont été exclus du pouvoir et marginalisés. Le gouvernement central porte une lourde responsabilité dans cet état de fait et ne veut pas ou ne peut pas y remédier malgré le remplacement du premier ministre Nouri al-Maliki par son collège Haider al-Abadi, sensé être plus enclin à partager le pouvoir.

Cet éclatement de l'Irak profite à l'EI. L'an dernier, les soldats irakiens dirigés par des officiers chiites ont abandonné leurs postes à Mossoul devant les hommes du califat. Cette année, dans la province d'Anbar et à Ramadi, sa capitale, les djihadistes ont été accueillis en libérateurs. Les sunnites préfèrent la peste islamiste au choléra chiite.

PAS LES MOYENS DE SES AMBITIONS

Le ressentiment d'un groupe vis-à-vis d'un autre ne saurait toutefois former la base d'une construction politique comme celle recherchée par le califat islamique de l'EI. Plus encore, les territoires actuellement contrôlés - si un tel contrôle existe - par les djihadistes en Irak et en Syrie sont un semi-désert faiblement peuplé dont les ressources en pétrole et en gaz ont été neutralisées par les bombardements de la coalition américano-arabe.

Sauf pour quelques fanatiques, le groupe État islamique n'est l'avenir ni de l'Irak ni de la Syrie.

Il n'a aucun projet concret à offrir sinon, comme l'écrivait récemment l'essayiste et géopoliticien français Gérard Chaliand, un ordre moral fondé sur la terreur et dont la marque de commerce actuelle est « la maîtrise des réseaux sociaux et de la communication ». Toutefois, « maîtriser la communication n'est pas maîtriser une situation », écrivait-il dans Le Monde. Cela masque plutôt « l'absence de projets économiques et sociaux ».

Déjà, certaines tribus sunnites ont changé de camp et rejoint le gouvernement irakien. Sunnites et chiites ont lutté côte à côte pour reprendre la ville de Tikrit en mars. Ces acquis sont fragiles, d'autant plus que chaque groupe subit les contrecoups de la lutte vicieuse et sanglante que se livrent l'Iran chiite et les États sunnites, Arabie saoudite en tête, avec leurs alliés occidentaux ou russes, pour le contrôle de l'Irak et de la région.

L'EI peut être vaincu. Le groupe n'a pas les moyens de ses ambitions. Son enracinement politique est superficiel. Ses « succès » sont réversibles. Et c'est en Irak plus qu'en Syrie que la partie se joue. Il reste aux Irakiens - kurdes, sunnites et chiites - et à leurs alliés à lui administrer le coup de grâce. Le veulent-ils ?

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