Le premier ministre israélien Benyamin Nétanyahou a fait hier à Washington un dangereux pari: celui de saboter les efforts du président Obama et de cinq autres grandes puissances visant à conclure un accord sur le programme nucléaire militaire iranien, au risque de miner la relation israélo-américaine.

Le leader israélien a toujours fait entendre sa différence sur la question du nucléaire iranien, et ce, depuis le début des négociations en 2003 entre Téhéran et six grandes puissances (États-Unis, Russie, Chine, France, Royaume-Uni et Allemagne). Selon lui, il est inconcevable de négocier le moindre accord avec un pays dont les dirigeants jurent d'effacer Israël de la face du monde. Quiconque a visité l'État hébreu et a à l'esprit la situation géopolitique actuelle du Proche-Orient peut comprendre l'angoisse de Nétanyahou et de ses concitoyens.

À plusieurs reprises, le premier ministre a averti les administrations Bush et Obama de son opposition. Visiblement, cela n'a pas eu d'effet. Les négociations se sont poursuivies et pourraient déboucher d'ici quelques jours sur un accord. Nétanyahou a donc décidé de porter sa cause de façon dramatique à Washington devant un Congrès acquis d'avance. Si son discours a soulevé des applaudissements nourris, il n'a strictement rien apporté sur la substance de la question. Il a fait pire.

Ce qui s'est passé hier matin dans la capitale américaine est un événement sans précédent dans l'Histoire. Le leader d'un pays dont la sécurité dépend en grande partie du parapluie militaire et financier américain est venu critiquer un élément central de la politique de sécurité des États-Unis, et du même coup défier ouvertement son président. Mardi matin, aucun haut représentant de l'administration Obama n'assistait au discours - le vice-président Joe Biden et le secrétaire d'État John Kerry étaient à l'étranger - et quelque 60 sénateurs et représentants démocrates l'ont boycotté. Du jamais vu.

Un geste calculé

Le discours de Nétanyahou n'est pas une erreur de sa part. C'est en toute connaissance de cause qu'il a posé un geste qui relève de la provocation. Et ce geste aura des conséquences à moyen et à long terme sur une relation israélo-américaine qui s'effrite depuis une quinzaine d'années. En effet, jusqu'à la fin des années 90, il existait un puissant consensus au sein de la classe politique américaine au sujet d'Israël. Aucune critique n'était entendue, Washington s'alignant sur les positions israéliennes. L'ancien président Jimmy Carter, fin connaisseur du Proche-Orient et artisan de la paix israélo-égyptienne, a rompu ce consensus en n'hésitant plus à dénoncer les actions israéliennes en Palestine. Les attentats du 11-Septembre ont ouvert d'autres brèches où se sont engouffrés experts, politiciens, stratèges et militaires.

Le premier ministre israélien vient maintenant de se mettre à dos le président Obama sur une question vitale pour les États-Unis. Le président a répété à qui veut l'entendre qu'il favorisait l'option diplomatique pour régler la question du nucléaire iranien et que son pays ne se laissera pas entraîner dans une guerre qu'il n'aura pas choisie.

Il n'est pas seul dans cette affaire. Cinq grandes puissances sont aussi profondément engagées dans cette négociation. En tentant de saboter ce processus, Nétanyahou s'attaque aussi à ces puissances et se pose en seule référence de ce qui est bon ou mauvais pour la sécurité mondiale. Or, ces puissances savent parfaitement ce qu'elles font en négociant avec l'Iran les mesures à imposer dans un futur accord afin de neutraliser le nucléaire militaire - interdit par le Traité de non-prolifération - et de permettre le nucléaire civil, autorisé.

L'ancien chef du Mossad (services secrets israéliens), Meir Dagan, pense que Nétanyahou est celui qui aura «causé le plus de tort» à Israël dans le dossier iranien. Son discours aura aussi accentué le fossé entre Israël et son seul véritable allié. Cela ne laisse présager rien de bon pour l'avenir.

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