La torture donne-t-elle des résultats ? La question peut sembler brutale, voire obscène. À la lumière de la publication mardi par le Sénat américain d'un rapport sur les méthodes d'interrogation instaurées sous l'administration Bush afin de lutter contre le terrorisme, la question se pose.

La Commission des affaires étrangères du Sénat a livré un rapport très dur. Dans sa version expurgée - 500 pages sur 6000 - , la majorité démocrate documente la mise en place au lendemain des attentats du 11-Septembre d'un système permettant aux autorités de capturer, d'emprisonner et, parfois, de torturer tout individu soupçonné d'appartenir à Al-Qaïda.

Le système s'est mis en place par étape, parfois dans la confusion, mais il a trouvé rapidement sa structure et ses mécanismes de fonctionnement. Le pouvoir exécutif - le président Bush et le vice-président Cheney - en était le grand ordonnateur ; la CIA, l'exécutante. Des juristes aux ordres ont transformé des actes de torture en « techniques d'interrogatoire renforcées » afin de contourner les conventions internationales. Des prisons secrètes ont été aménagées dans des démocraties, comme la Pologne, ou dans des dictatures, comme l'Égypte, pour recevoir les suspects et les livrer à la torture, car on ne fait pas ça aux États-Unis.

Tout un petit personnel - gardiens, interrogateurs, médecins - faisait tourner l'effroyable mécanisme en bonne conscience. Jusqu'au jour où cela est devenu intenable. En 2006, George Bush a annulé plusieurs volets de ce programme et Barack Obama y a mis fin en 2009.

Une des principales conclusions du rapport sénatorial est que la torture n'est pas efficace pour obtenir des renseignements ou la coopération des détenus. Ce constat est appuyé par le sénateur républicain John McCain, lui-même torturé au Viêtnam, et pour qui cette méthode est également inefficace. Ou par le général français Paul Aussaresses, ancien d'Algérie et superviseur de séances de tortures, qui avouait au journal Le Monde qu'il récidiverait, tout en reconnaissant avoir obtenu le plus souvent « des résultats considérables sans la moindre torture, simplement par le renseignement et la dénonciation. »

L'urgence de la protection

L'ancien officier français défendait pourtant l'usage de la torture en invoquant l'urgence de la situation. C'est la fameuse hypothèse de la bombe à retardement qu'il faut empêcher d'exploser et de causer plus de mal que le supplice d'un homme. En admettant la validité de cette hypothèse - et là les pour et les contre avancent leurs arguments - , elle soulève cependant une question : l'urgence dure combien de temps ? Un jour, un mois, un an, dix ans ?

La CIA et l'ancien vice-président Cheney n'en démordent pas : « Le recours à ces techniques pour contrer le terrorisme nous a protégés davantage », disent-ils en choeur. Et certainement que les tortionnaires des quelque 80 pays où la torture se pratique pensent de même.

Qu'est-ce qui leur fait croire une telle chose ? Le changement dans les méthodes : la torture s'est raffinée au cours des dernières décennies. Fini, ou presque, les pratiques consistant à arracher les ongles, à éclater les membres, à brûler la peau. Les « nouvelles » méthodes de torture ne laissent plus de traces, du moins visibles. La panoplie est décrite dans le rapport : privation de sommeil, jets d'air comprimé, postures contraignantes, contention, bruit, simulation de noyade.

Certaines de ces méthodes sont vieilles comme le monde, d'autres ont été développées récemment par des médecins et psychologues, spécialistes du comportement humain. Elles sont censées engendrer un sentiment d'impuissance et de désespoir. À partir du moment où le sujet tombe dans cet état, les tortionnaires peuvent façonner son comportement à travers quelques petites récompenses et, finalement, l'amener à coopérer.

À l'évidence, ceux qui approuvent la torture estiment qu'elle donne des résultats. D'où sa persistance, malgré le droit, la morale et les raffinements mis à la cacher. Il sera bien difficile de l'éradiquer.

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