En ce jour du Souvenir, ils étaient 50 000 autour du Monument commémoratif de guerre du Canada à Ottawa. Stephen Harper, précipitamment arrivé de Chine et en partance pour l'Australie, était au milieu afin qu'on le remarque.

Il aime tant nos soldats, du moins pour la photo. Le ministère de la Défense, lui, ne dépense pas toutes les sommes allouées pour acheter du matériel dont ils ont cruellement besoin. L'argent est reversé au trésor public pour dégager ce surplus si important l'an prochain lors des élections.

Ils étaient donc réunis, très nombreux. Le centenaire de la Première Guerre mondiale et les événements récents où deux militaires ont été tués à Ottawa et à Saint-Jean-sur-Richelieu en ont incité plusieurs à faire le déplacement. À Québec, l'Assemblée nationale, unanime, a observé une minute de silence. Françoise David, chef de Québec Solidaire, a rappelé, avec raison, qu'il était aussi opportun de rendre hommage aux millions de civils tués. Il faudra bien penser à eux aussi, un jour.

Le 11 novembre est le jour du Souvenir, mais de quoi se souvient-on au juste à cette occasion ? La population fait preuve d'une certaine ignorance sur l'objet de la commémoration, l'armistice, c'est-à-dire le moment où fut signé l'acte qui mit fin à la Première Guerre mondiale. Certains répondent que cette date souligne le sacrifice des militaires morts au cours de toutes les guerres, d'autres, seulement de la Seconde Guerre mondiale. Ils n'ont pas tort. Avec le temps, cette commémoration particulière a fini par honorer tous les militaires tombés pour le Canada.

Au Canada, la Première Guerre mondiale reste pourtant un moment fondateur et un objet de controverse.

Un ouvrage à découvrir

Dans un livre documenté, rigoureux, argumenté, Un siècle d'oubli, publié récemment chez Athéna Éditions, l'historien Jean Martin explore la face cachée de l'engagement canadien. Premier mythe déboulonné, la Seconde Guerre mondiale n'est pas la plus importante des guerres canadiennes, comme on le croit généralement sous l'effet de la culture cinématographique américaine. « Dans les faits, écrit l'auteur, plus de soldats canadiens ont pris part à la Première qu'à la Seconde Guerre mondiale » et 65 000 y sont morts, contre 45 000 en 1939-1945. Le Canada a vraiment connu son baptême du feu à ce moment-là et est devenu quelque chose comme une nation.

Deuxième mythe écorné, celui du Canadien français rebelle, résistant à la guerre et à la conscription. Ici, il faut lire le livre pour apprécier toute la finesse de l'analyse de l'auteur sur cet épisode agité de notre histoire. Mais résumons.

Le déclenchement des hostilités est accueilli avec enthousiasme en Europe et dans l'Empire britannique. Au Canada, les plus ardents sont les Britanniques fraîchement arrivés. Au début, ils vont constituer l'écrasante majorité des volontaires. Les Canadiens anglais sont plus réservés. Chez les Canadiens français, l'attitude est mitigée. Il n'y a pas de nouveaux arrivants parmi eux. Ils sont Canadiens depuis le XVIIIe siècle. Ils représentent 30 % de la population et vont fournir au début du conflit 17 % des volontaires nés au pays.

La conscription change les choses. Si les Canadiens français résistent, l'histoire de leur fuite massive en forêt est une fable. Ils ne sont pas les seuls à résister. Si la conscription est imposée, c'est aussi parce que le flot de volontaires anglophones se tarit. Dans l'Empire, des émeutes éclatent en Irlande et d'immenses manifestations ont lieu en Angleterre contre cette mesure. Au bout du compte, 93 % des francophones tués au cours de la guerre étaient des volontaires, ce qui n'empêche pas, comme a pu le constater l'historien, que certains de ses confrères ne cessent d'écrire sur cet épisode comme s'il représentait toute l'expérience de cette guerre.

Le souvenir de la Première Guerre mondiale s'estompe lentement. C'est bien normal. Jean Martin nous invite à ne pas oublier.

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