Alors que l'Irak se dirige vers la partition et que le chef de l'État islamique contrôle une partie du territoire et se proclame calife des musulmans, un ancien conseiller américain témoigne sur la paix et la guerre depuis l'invasion de 2003. «Si seulement les Irakiens écoutaient ce qu'on leur dit, tout irait tellement mieux», dit-il en substance. C'est pathétique et édifiant.

Le récit, publié dans le Washington Post, est la version aseptisée du rôle des Américains pour «sauver» l'Irak des mains d'une série de «méchants» - djihadistes sans frontières, politiciens irakiens véreux, Iraniens sournois et ambitieux - dont le défaut est de saboter les efforts de paix si généreusement prodigués par Washington. Le témoignage, écrit par Ali Khedery, un Américain d'origine irakienne et parlant arabe, repose sur dix années d'expérience sur le terrain.

«Pour comprendre pourquoi l'Irak implose, il faut comprendre qui est son premier ministre, Nouri al-Maliki», écrit-il. Le premier ministre est donc, selon lui, le seul et parfait coupable.

Lorsque l'occupation cesse en 2004 et que l'Irak retrouve sa «souveraineté», les Américains continuent à diriger le pays. Ils sélectionnent Ibrahim al-Jafari comme premier ministre. Mais, la situation se détériore: l'insurrection antiaméricaine prend de l'ampleur et se double d'un affrontement confessionnel entre sunnites et chiites alors qu'Al Qaeda fait son entrée sur scène. Washington pense à éliminer Jafari, trop «mou», trop proche des Iraniens.

L'ambassade américaine à Bagdad brasse à nouveau les cartes. Ali Khedery cultive des liens avec plusieurs dirigeants irakiens, dont Maliki, un obscur député chiite, mais ambitieux et désireux de saisir sa chance. Les forces d'occupation l'imposent donc aux autres dirigeants irakiens. Il fera, croit-on, la «bonne politique». Il est aux ordres. Nommé premier ministre en 2006, il rencontre le général Petraus et l'ambassadeur américain «plusieurs heures par jour pendant deux ans».

En 2008, George Bush termine son mandat et veut amorcer le retrait des troupes. La négociation commence dans un contexte défavorable à Washington. Barack Obama arrive au pouvoir et se montre pressé. Maliki sent la faiblesse. Il n'«écoute» plus les conseils et n'en fait qu'à sa tête. Finalement, les gouvernements irakien et américain signent «un mauvais accord qui ne donne rien à Washington et offre tout à Bagdad», selon la jolie version de Khedery.

En 2010, Khedery retourne à Bagdad afin de conseiller l'ambassadeur américain. Il est «choqué de constater que tout ce que nous avons fait a été dilapidé par Maliki et les leaders irakiens.» Le premier ministre concentre les pouvoirs et il ose se rapprocher des Iraniens. Khedery demande alors à l'administration Obama de le limoger. On l'ignore. Plus personne ne veut entendre parler de l'Irak. Sur le terrain, le chaos s'installe.

«La crise à laquelle l'Irak et le Moyen-Orient sont en proie n'était pas seulement entièrement prévisible, mais elle était aussi prévue - et évitable», écrit Khedery, révolté. Il suffisait selon lui de se débarrasser de Maliki, et le tour était joué. La paix serait revenue, les Iraniens auraient été contenus et l'État islamique du nouveau calife ne serait jamais apparu.

La tragédie irakienne est aussi là, dans cette incapacité à identifier et à expliquer les complexités des sociétés moyen-orientales. Khedery ne peut concevoir qu'en Irak et dans la région, les individus et les peuples ont d'autres intérêts et d'autres visions que celles des Américains. L'Irak devient dès lors incompréhensible, car expliqué à travers le seul prisme occidental. Les Irakiens n'ont que deux rôles: repoussoir ou faire-valoir. Il n'est donc pas surprenant que chaque événement semble être une surprise et, dès lors, une catastrophe.

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