À lire les dépêches d'agences de presse, on a le sentiment cette semaine que les villes de l'Est ukrainien tombent aux mains des milices pro-russes à une vitesse saisissante comme dans un jeu de dominos. L'État ukrainien est-il en train de s'effondrer dans cette partie de son territoire?

En tout cas, c'est ce que laisse entendre le président par intérim Olexandre Tourtchinov. Lors d'une rencontre avec les gouverneurs régionaux à Kiev mercredi, le leader ukrainien a été direct et brutal en décrivant la situation dans la partie orientale de l'Ukraine. «Je serai franc, a-t-il dit, les forces de sécurité sont incapables de reprendre le contrôle dans les régions de Donetsk et de Lougansk. De plus, les événements dans l'Est ont illustré l'inaction, l'impuissance et parfois la trahison criminelle des forces de l'ordre». Pour lui, c'est clair, plusieurs unités aident ou coopèrent avec les «organisations terroristes».

En effet, la perte de contrôle, si elle se révèle effective, ne peut seulement être le résultat des agissements d'agents russes infiltrés au sein de la population et comptant sur quelques pro-Russes exaltés pour soutenir leur entreprise de déstabilisation. Après tout, le modus operandi développé par les miliciens est d'une étonnante simplicité et peut facilement être contré. Selon le correspondant du Guardian à Lougansk, une ville de 450 000 habitants, quelques dizaines de miliciens seulement se sont emparés du bâtiment de l'administration régionale en quelques minutes.

À Donetsk, une ville d'un million d'habitants, 300 miliciens vont et viennent sans entraves depuis plus d'un mois et semblent terroriser toute la population. Pourtant, de l'aveu même du gouverneur pro-Kiev de la région, le milliardaire Sergueï Taruta, les séparatistes pro-russes ne sont qu'une poignée et, selon ses services de renseignement, «la majorité des agents russes ont quitté» la région. Le gouverneur ne croit pas un instant que les pro-Russes puissent tenir le référendum promis le 11 mai prochain sur l'indépendance de leur «république». Ils contrôlent quelques bâtiments «dans une région où il y a 2,7 millions d'électeurs et 5000 bureaux de scrutin», dit-il au quotidien britannique.

Les pro-Russes n'en poursuivent pas moins les occupations de bâtiments. Et s'ils le font, c'est qu'ils comptent sur l'apathie, sinon une certaine complicité d'une population résignée. Et c'est bien à ce niveau que se situe la cause de l'effondrement de l'autorité de l'État ukrainien. Celui-ci a été complètement absent au lendemain de la prise du pouvoir le 22 février par les «révolutionnaires» pro-européens.

Dans leur précipitation à s'emparer des leviers gouvernementaux, les nouveaux dirigeants du pays ont oublié deux des fonctions les plus essentielles de l'État: celles de protéger les citoyens les uns des autres et de les défendre contre les agressions de l'extérieur. Or, rien n'a semble-t-il été tenté pour asseoir l'autorité de l'État dans les régions orientales et ce n'est qu'un mois après la prise du pouvoir que des ministres se sont rendu sur place afin de manifester cette autorité.

Les régions de l'Est, plutôt acquises à l'ancien gouvernement, ont accueilli avec beaucoup de réticences la prise du pouvoir par les pro-Européens. Pour leurs habitants, et ils n'ont pas tort, cette révolution est en fait un coup d'État institutionnel, quel que soit l'habillage juridique qu'on lui a trouvé après coup. Sans légitimité autre que celle de la rue et d'un Parlement aux ordres, le gouvernement de Kiev a été incapable de projeter, auprès des populations orientales, l'image d'un pouvoir à l'écoute et soucieux de leurs intérêts.

Hier, le président ukrainien a mis sur le pied d'alerte l'armée nationale afin de défendre le pays contre une «invasion russe». Mais que vaut cette menace alors que les opérations «antiterroristes» ont échoué et qu'à peine 3000 personnes ont manifesté à Kiev hier pour soutenir le gouvernement actuel? Dans ces circonstances, il n'est pas étonnant que l'État ukrainien semble se déliter.

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