L'entreprise de déstabilisation organisée par Vladimir Poutine en Ukraine a fini par payer. La Russie en est sortie doublement gagnante: elle a annexé la Crimée et a placé l'Ukraine sous surveillance en signant jeudi l'accord de Genève qui force Kiev à organiser un processus constitutionnel dont Moscou pourra influencer le déroulement si ses intérêts ne sont pas respectés.

Une grande puissance perd rarement un affrontement avec un petit pays. Les États-Unis et la Grande-Bretagne ont envahi illégalement l'Irak et provoqué la mort de 200 000 personnes sans encourir la moindre sanction. L'affaire ukrainienne, même si elle n'est pas vraiment terminée, a fait tout au plus une dizaine de morts. Elle a aussi secoué les relations entre la Russie et l'Occident. Toutefois, si l'accord de Genève est mis en oeuvre convenablement, les relations vont reprendre et l'on ne devrait plus entendre parler de l'Ukraine pour quelque temps. Depuis plusieurs jours d'ailleurs, les réseaux américains CNN et Fox News ne s'intéressent qu'à la recherche des débris de l'avion de la Malaysia Airlines. Que s'est-il passé?

La Russie a calculé les pertes et les profits de son intervention en Ukraine. Tout indique qu'elle n'a jamais eu l'intention d'absorber de nouveaux territoires dans l'Est après le coup de la Crimée, seulement d'y semer suffisamment le chaos pour tenir en joue le pouvoir à Kiev, tout en évitant de provoquer une trop forte réaction des Occidentaux. Ce savant équilibre reposait sur la conviction que la Russie n'avait rien à craindre des Occidentaux.

En effet, lorsqu'elle a annexé la Crimée le mois dernier, la Russie savait pertinemment qu'elle risquait d'en subir les conséquences. Mais la Russie savait aussi que ces conséquences seraient mineures et de courte durée, tant les liens économiques entre elle et l'Europe sont trop importants et tissés serrés pour qu'ils subissent la moindre turbulence. Ainsi, dès le lendemain de l'annexion, le président du géant industriel allemand Siemens s'est rendu à Moscou pour dire à Poutine que les affaires continuaient comme avant.

Jeudi dernier, au moment même où les négociations s'ouvraient à Genève, le Financial Times publiait en première page un article en forme d'avertissement sur les fortes inquiétudes des industriels européens advenant des sanctions contre la Russie. Le message a été reçu cinq sur cinq tant par le pouvoir à Moscou que par les politiciens occidentaux. La table était mise pour trouver un compromis.

La Russie est allée aussi loin qu'elle le pouvait, et le temps d'engranger les profits est arrivé. C'est d'autant plus facile que les Occidentaux n'ont plus de munitions. À partir du moment où ils excluent toute intervention militaire et se contentent d'adopter des sanctions ridicules, frappant des individus, mais épargnant leurs juteuses affaires avec la Russie, leur marge de manoeuvre est limitée.

Les autorités ukrainiennes sont alors dûment avisées: les Occidentaux n'ont pas l'intention de franchir une ligne rouge et de mourir pour la défense de l'Ukraine. Toute la pression a donc été exercée sur le gouvernement ukrainien pour qu'il accepte non seulement de venir négocier à Genève, mais qu'il cède à la principale exigence de la Russie concernant le lancement d'un processus politique visant à réformer la gouvernance de l'Ukraine.

À moins d'un dérapage de dernière minute, la phase militaire de la crise ukrainienne laisse maintenant place à la phase politique. L'accord de Genève prévoit l'ouverture d'un dialogue national entre toutes les parties ukrainiennes devant conduire à une réforme constitutionnelle destinée essentiellement à concéder plus d'autonomie aux régions prorusses. Si les États-Unis, l'Union européenne et la Russie sont garants de l'accord, c'est bien Moscou qui tirera les ficelles du processus politique. Le résultat sera sans appel: l'Ukraine restera indépendante, mais faible, décentralisée, non membre de l'OTAN, et sous l'influence de la Russie.

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