Après avoir orchestré l'invasion puis l'annexion de la Crimée, Vladimir Poutine tire les ficelles des groupes pro-russes dans les régions orientales de l'Ukraine. Certains d'entre eux se sont rendus maîtres de bâtiments administratifs dans quelques grandes villes. Un groupe a même proclamé une «république de Donetsk» et appelé au rattachement avec la Russie. À l'évidence, le président russe met toute la pression afin de forcer les Ukrainiens à accepter son projet géopolitique pour l'Ukraine: un État fédéral pour sauvegarder les intérêts des minorités russes, et neutre pour éloigner l'OTAN de ses frontières.

Or, tout indique que le président russe a certainement poussé son avantage un peu trop loin. C'est que l'est de l'Ukraine n'est pas la Crimée. Sur le plan démographique, les minorités russes oscillent entre 20 et 40% de la population, mais ces pourcentages sont à prendre avec précaution tant ils reposent sur des recensements effectués il y a déjà plus de 10 ans au moment où les démographes constataient une baisse importante du nombre de Russes.

Sur le plan spatial, ces minorités sont dispersées sur un grand territoire et clairsemées. Il y a des endroits plus denses que d'autres, mais aucune des régions où le mouvement pro-russe se fait entendre n'a de majorité russe, comme c'est le cas en Crimée.

Sur le terrain, il semble d'ailleurs que le mouvement pro-russe s'essouffle rapidement. Les envoyés spéciaux du New York Times, du Wall Street Journal et de plusieurs quotidiens européens décrivent une rébellion anémique composée de vétérans et de voyous qui tentent d'exciter quelques centaines de personnes devant des barricades de fortune. Les rebelles étalent même leurs divisions entre ceux qui réclament une plus grande autonomie au sein de l'Ukraine et ceux qui désirent le rattachement pur et simple avec la Russie. Certaines scènes frisent le vaudeville et «la prise de pouvoir» à Donetsk a des airs de Tintin et les Picaros. On est donc loin ici de la Crimée, où la prise de contrôle par la Russie s'est effectuée de manière méthodique et fulgurante.

D'un point de vue militaire et diplomatique, Vladimir Poutine est tout à fait conscient des énormes difficultés qu'il ne manquerait pas d'affronter advenant l'entrée de l'armée russe dans l'est de l'Ukraine. Là où la Crimée est une presqu'île facile à défendre, l'est de l'Ukraine est une longue bande sans défense naturelle. Tenir un tel territoire où une majorité de la population est hostile exige des ressources considérables et suppose le risque d'un affrontement direct et nécessairement sanglant avec l'armée ukrainienne.

La Russie s'en tire... pour l'instant

L'annexion de la Crimée a provoqué de vives protestations internationales, mais n'a pas complètement isolé la Russie, comme l'affirme faussement le secrétaire général de l'OTAN, en se référant à une résolution de l'Assemblée générale de l'ONU condamnant ce geste. Un examen minutieux du vote se révèle plutôt embarrassant pour les Occidentaux. La résolution a effectivement obtenu 100 voix et 11 pays s'y sont opposés. Mais l'important est ailleurs: 58 pays, dont la Chine et de nombreux alliés des Américains - Afghanistan, Afrique du Sud, Argentine, Brésil, Égypte, Inde, Irak, Pakistan - se sont abstenus et 24 autres, dont Israël, étaient absents lors du vote, une tactique pour éviter de prendre position. Le résultat pourrait toutefois être fort différent si la Russie tentait d'envahir et d'annexer certaines régions orientales de l'Ukraine.

Jusqu'où Poutine peut-il aller en Ukraine? On le saura dans quelques jours. En attendant, le gouvernement ukrainien vient de proposer une plus grande autonomie aux régions à forte minorité russe et une amnistie aux rebelles. Un sommet réunissant les chefs de la diplomatie des États-Unis, de la Russie, de l'Union européenne et de l'Ukraine doit avoir lieu le 17 avril à Vienne. Il y a là des occasions à saisir.

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