D'une certaine façon, la crise en Crimée est terminée. La Russie a absorbé ce territoire et les marchés financiers en ont pris acte avec une surprenante rapidité. Les Occidentaux ont beau gesticuler en faisant mine de « punir » la Russie, ils ne pourront changer la réalité sur le terrain, aussi déplaisante soit-elle.

Depuis le début du conflit ukrainien en novembre, il a beaucoup été question de la détermination de Vladimir Poutine à reconstituer l'empire soviétique d'avant sa chute en 1991. Le président russe a lui-même alimenté cette idée lorsqu'il a qualifié l'effondrement de l'Union soviétique de tragédie historique. Pour lui, cet événement a entraîné un moment de faiblesse chez les Russes dont les Occidentaux ont profité en accueillant au sein de l'Union européenne et de l'OTAN les trois pays baltes en plus des anciens satellites d'Europe de l'Est.

Rebâtir la puissance perdue

Si Boris Eltsine a donné son accord à cette intégration, Poutine, en accédant au pouvoir en 2000, avait l'intention non seulement de résister, mais de contre-attaquer afin de rebâtir la puissance perdue. Sa stratégie a reposé sur l'expansion de l'influence économique et politique dans les anciennes républiques soviétiques et la protection de certaines minorités, dont la russe.

L'éclatement de l'URSS a donné naissance à 15 pays indépendants. Sous le régime soviétique, le pivot central de l'empire, la Russie, avait tissé des liens étroits avec les autres entités. Certaines relations étaient plus profondes que d'autres. Ainsi, il n'a pas été difficile à la Russie de Poutine de reprendre pied en Asie centrale, ce no man's land géopolitique où les cinq nouvelles républiques - Kazakhstan, Turkménistan, Kirghizistan, Ouzbékistan et Tadjikistan - ont toujours été dirigées par des régimes à poigne entièrement dépendants de Moscou.

Les Américains ont fermé les yeux, tout heureux après le 11-Septembre d'y déployer des bases pour mener la guerre en Afghanistan. Dans le Caucase, l'Arménie et l'Azerbaïdjan, en conflit depuis leur indépendance, ont rapidement été neutralisés, de même que la Biélorussie à l'ouest, simple prolongement de la Russie.

À ces occasions géopolitiques s'est ajoutée la question de la protection de certaines minorités dans les nouveaux États. Elle a émergé avant même que Poutine n'existe politiquement. Les minorités russes sont présentes dans les trois pays baltes - Lituanie, Lettonie, Estonie -, en Moldavie et en Ukraine; en Géorgie, s'ajoutent des Abkhazes et des Ossètes.

Lors de l'effondrement de l'URSS en 1991, les minorités en Moldavie (dans la province de Transnistrie) et en Géorgie (les provinces d'Abkhazie et d'Ossétie) ont refusé leur rattachement aux nouveaux pays et demandé protection à la Russie, qui a volé à leur secours. Depuis, ces trois petits territoires sont sous domination russe. Dans les pays baltes, les minorités russes ont accepté les nouveaux pouvoirs. Enfin, en Ukraine, la Crimée a obtenu non sans mal un statut de république autonome. Les Russes ne s'y sont jamais sentis pour autant à l'aise.

Vladimir Poutine est-il donc le conquérant sans foi ni loi que l'on décrit? Certainement, mais force est de reconnaître qu'il a profité, brutalement en Géorgie et en Ukraine, de situations qui existaient avant son arrivée au pouvoir afin d'asseoir son projet de renaissance de la puissance russe.

A-t-il l'intention d'aller encore plus loin en annexant les régions russes de l'Ukraine? Mardi, lors de la signature du traité transformant la Crimée en province russe, il a dit ne pas rechercher la désintégration territoriale de l'Ukraine. C'est à voir. Mais nous disposons d'un cas où la Russie a réfréné ses ambitions: les pays baltes. En Estonie, 30% de la population est d'origine russe, 27% en Lettonie et 10% en Lituanie. Moscou aurait pu mettre la main sur les régions russophones; il ne l'a pas fait. Il est d'ailleurs trop tard, ces pays étant membres de l'OTAN. Comme quoi le projet impérial de Poutine a aussi des limites.

 Poutine est-il le conquérant sans foi ni loi que l'on décrit ? Certainement, mais force est de reconnaître qu'il a profité de situations qui existaient avant son arrivée au pouvoir afin d'asseoir son projet de renaissance de la puissance russe.

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