La démocratie égyptienne est morte, avant d'être réellement née. Les militaires l'ont enterrée dans le sang avec la complicité d'un grand nombre de «libéraux» et de «démocrates» égyptiens. Les Occidentaux ont prononcé son oraison funèbre à travers leurs fausses condamnations.

L'issue sanglante de cette semaine était prévisible. Elle était en germe dès la victoire en juin 2012 de Mohamed Morsi, premier président démocratiquement élu du pays. Personnage inconnu, Morsi avait remplacé à la dernière minute un autre candidat des Frères musulmans, populaire et riche, mais disqualifié par les militaires. Ceux-ci avaient leur candidat et pensaient gagner l'élection. Il n'en fut rien. Alors la machine infernale de l'ancien régime s'est mise en marche.

Morsi et les Frères musulmans étaient des amateurs, tous en conviennent. Interdits, réprimés, torturés, sinon exécutés pendant 60 ans de dictature militaire, ils ont été propulsés au pouvoir du jour au lendemain. À Washington, à Paris et dans les quartiers chics du Caire, on les a sommés d'établir la démocratie et de faire preuve d'ouverture envers l'opposition dans une société qui n'a pas connu l'une et qui n'a jamais pratiqué l'autre.

Les Frères musulmans vont alors commettre des erreurs. Après tout, aux législatives, ils ont obtenu 40% des voix et peuvent compter sur les 25% des voix salafistes, encore plus radicaux qu'eux. Et ils ont un programme: aux millions de déshérités, d'illettrés et d'exploités, ils ont promis la dignité et la lutte à la corruption.

Pour ce faire, ils ont besoin d'écarter les membres de l'ancien régime, essentiellement les militaires aux manettes des pouvoirs politiques, financiers et médiatiques. Ça, c'est une révolution, une vraie, et elle heurte de plein fouet des intérêts énormes.

Pour y arriver, les Frères musulmans ont mal joué leurs cartes. Morsi s'est arrogé des pouvoirs considérables, annulés plus tard, ce qu'on oublie de mentionner. Il a poussé à l'adoption d'une constitution autoritaire et reflétant les valeurs conservatrices et religieuses de la population. Les militaires, qui n'avaient jamais respecté aucune constitution, ont trouvé là une excuse parfaite à servir à l'opposition et aux Occidentaux pour bouger contre le président.

Et, au même moment, il se trouve que l'opposition, une étrange collection d'anciens du régime Moubarak, transformés pour l'occasion en démocrates, de jeunes idéalistes et de membres de la frange occidentalisée des élites, commençait, honnêtement ou pas, à s'inquiéter. L'homme fort du régime actuel, le général al-Sissi, a trouvé sa caution. Il leur a dit en substance: «La démocratie est menacée, il faut réagir. Je suis l'homme de la situation, et si vous jetez dans la rue des millions de protestataires, je bouge». Ils ont dit oui. La déstabilisation a commencé comme au Chili en 1973.

À l'étranger, visiblement, on s'est frotté les mains. Les Américains savent tout ce qui se passe en Égypte. Ils forment 500 officiers par année dans leurs écoles militaires et ceux-ci occupent les meilleures places en revenant chez eux. Le secrétaire à la Défense, Chuck Hagel, discute quotidiennement avec le général al-Sissi et ils ne parlent pas seulement de la météo. Le général lui a dit en substance: «Pour garder l'Égypte de votre côté, il n'y a que nous pour le faire. Alors?» Les Américains ont protesté pour finalement donner leur feu vert. Les jours de Morsi étaient comptés. Il est tombé le 3 juillet dernier.

La démocratie et la liberté n'ont jamais été menacées en Égypte. Comme l'écrivait cette semaine le néoconservateur américain et grand spécialiste du monde arabe Fouad Ajami, «il n'y avait pas d'urgence pour un coup d'État. Morsi tenait la présidence, mais l'armée était hors de son contrôle, la police était la loi même et le pouvoir judiciaire était un bastion agressif de l'ancien régime».

La révolution égyptienne de 2011 est un mythe. Moubarak a été remplacé, mais les membres du régime sont restés. Aujourd'hui, ceux qui dominent et pillent l'Égypte depuis 1952 viennent de consolider leur place afin d'imposer une nouvelle dictature. Ils seront bientôt harcelés par une insurrection populaire, peut-être même un mouvement terroriste, qu'ils auront largement contribué à créer de toutes pièces.

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