La Turquie et la Syrie échangent des tirs d'obus. La Russie refuse de lâcher son allié à Damas. L'Union européenne et le médiateur international, Lakhdar Brahimi, évoquent ouvertement le risque d'un embrasement régional. Jusqu'où ira cette escalade dans le conflit syrien?

M. Brahimi a beau multiplier les propositions de paix, dont la dernière en date porte sur le respect par toutes les parties d'un cessez-le-feu fin octobre à l'occasion du grand pèlerinage musulman de La Mecque, rien n'y fait. Les bombes fauchent civils et militaires, des islamistes radicaux s'installent en Syrie, et le gouvernement turc a reçu du Parlement les pleins pouvoirs pour riposter à toute attaque des forces syriennes. Face à cette situation, M. Brahimi a dit hier que «cette crise ne peut rester confinée indéfiniment au territoire syrien. Soit elle est réglée, soit elle s'aggravera, débordera, et mettra [la région] à feu et à sang.»

Au Luxembourg, lundi, les ministres des Affaires étrangères des 27 pays de l'Union européenne ont eu un long et glacial dîner avec leur homologue russe, Sergei Lavrov. «Nous avons discuté de la Syrie sous toutes ses dimensions avec M. Lavrov. Je ne peux pas dire que nous ayons fait quelque progrès que ce soit, a déclaré le Britannique William Hague. Comme cela a été le cas durant de nombreux mois avec la Russie, nous ne sommes pas parvenus à un quelconque accord», a-t-il ajouté.

Pendant ce temps, un pays, la Turquie, donne de la voix et agit. D'abord allié de Damas, le gouvernement turc s'est progressivement détaché du dictateur syrien. La Turquie accueille maintenant les rebelles syriens sur son territoire, bombarde certaines positions de l'armée syrienne, et réclame de l'ONU une action plus vigoureuse contre Damas. Cet activisme s'explique en partie par la détermination de la Turquie à exercer son rôle de puissance régionale et à peser sur les événements.

Le calcul est simple: le Printemps arabe a montré la fragilité des régimes en place. Dès lors, la Turquie veut être du côté de l'Histoire et des futurs gagnants. Le premier ministre Recep Erdogan s'est d'ailleurs précipité en Tunisie, en Libye, en Égypte, et même en Somalie, afin d'offrir le soutien politique et économique de son pays aux nouveaux gouvernements. Et, si possible, étendre sa sphère d'influence au moment où l'Iran, l'autre puissance concurrente auprès du monde arabe, avance ses pions.

Avec la Syrie toutefois, la Turquie ne prend-elle pas un grand risque? Les Turcs ne craignent pas les Syriens. Leur armée est la deuxième de l'OTAN après l'armée américaine et a les moyens d'un affrontement avec la Syrie. Pour autant, la Syrie a des atouts contre la Turquie. Elle peut, par exemple, manipuler le conflit kurde. Depuis 30 ans, le gouvernement turc combat une insurrection des Kurdes dans l'est du pays, et la Syrie ne se gêne plus pour alimenter ce conflit. Selon un expert américain, la Syrie pourrait devenir le «Vietnam» de la Turquie si une guerre éclatait.

Un dérapage militaire est-il possible? Pas pour l'instant. Il faut toutefois éviter l'engrenage. Le plus urgent, a dit le ministre français des Affaires étrangères, Laurent Fabius, est à la «désescalade, parce que rien ne serait pire que d'ajouter au drame syrien un conflit entre les Syriens et les Turcs.»

Sages paroles, mais la Turquie et la Syrie peuvent-elles encore dialoguer? Peut-on réconcilier les positions des Occidentaux, des Arabes et de la Russie, les grands parrains de cette crise? On peine à distinguer ce qui pourrait les rapprocher, tant les actions des uns et des autres jettent de l'huile sur le feu et semblent figer les positions dans un jusqu'au-boutisme désespérant.

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