Les enfants se feraient prescrire trop de pilules, c'est fort possible. Nos existences se médicalisent, le mal est collectif, les solutions, vite pharmacologiques. Mais beaucoup trop de pilules, vraiment, en sommes-nous absolument certains ?

Ne sommes-nous pas plutôt ravagés par notre incapacité chronique à offrir une égalité des chances dans la vie ? La prévention de la maltraitance, la création de services de garde pour les enfants à risque, une accessibilité en santé développementale, scolaire et mentale, quand tout cela semble se pouvoir, quelqu'un, quelque part, se charge de nous ramener irrémédiablement à la case départ.

Tout bien considéré, n'est-il pas terriblement normal qu'on ait à soigner notre jeunesse avec des pilules ?

Un enfant sur cinq présente un trouble du fonctionnement scolaire, 4 à 8 % des enfants et des adolescents présentent un trouble de déficit de l'attention avec ou sans hyperactivité (TDA/H) souvent soulagé par une médication quotidienne. L'inattention et l'agitation motrice accompagnent aussi la malnutrition infantile, la prématurité, l'alcoolisme foetal, les troubles de conduite, de l'attachement et l'autisme. Cela fait bien du monde au portillon du pharmacien.

De 5 à 15 % des jeunes vont souffrir de dépression, de troubles de l'humeur et de troubles anxieux. Ces maladies prégnantes sont reconnues plus précocement, dorénavant prises en charge non seulement par les psychiatres, mais aussi en proximité par les médecins de famille et les pédiatres, et de plus en plus souvent avec de la médication.

C'est une joie de pouvoir aider ces enfants et ces ados. Même si c'est dévastant d'avoir à les soigner. On rêverait de pouvoir atténuer leur génétique, leurs blessures familiales. De pouvoir donner du large à leur espace vital.

LES SOUHAITS DU MINISTRE

« Je veux que l'on réduise la consommation de tous les médicaments qui sont consommés de façon inappropriée, incluant le Ritalin et les antidépresseurs », déclare Gaétan Barrette. Le ministre de la Santé réagit alors à des données attestant une hausse de la prescription des psychostimulants chez les enfants québécois. Nous sommes en mai 2015, en pleine semaine de la santé mentale.

Mais une hirondelle ne fait pas le printemps. Ici, comme pour la suite, le ministre exprimera moins une position éclairée contre l'abus possible de médicaments qu'un populisme consterné par le chiffrier. Il en remettra dès lors en parlant de « ritalin-manie ». En présumant vertueusement que parents, professionnels et éducateurs souscrivent de gaieté de coeur aux Ritalin, Concerta et autres griffes de circonstance. En tirant sur le pianiste, le Québec soi-disant prêt à doper sa progéniture, et sur le piano, confrontant du coup la responsabilité du Collège des médecins.

Comment il dit, Lucien Bouchard ? « Je pense qu'il faut trouver un moyen de permettre aux dirigeants politiques d'exprimer des questions de fond avec des nuances, pour faire réfléchir. »

La montée considérable des prescriptions de psychostimulants révèle-t-elle une meilleure prise en charge du TDA/H ou une surabondance des faux diagnostics ?

Y a-t-il lieu d'y voir une déviance parentale, éducative, médicale, sociale ? Une machination des pharmaceutiques ? Un commerce résolument illicite, le gâteau au pot se faisant désormais légitime ?

Pour en arriver à un diagnostic plus solide et exclure des conditions médicales confondantes ou associées, comme l'anxiété ou la dyspraxie, un médecin doit également pouvoir compter sur des ergothérapeutes, des psychologues, des orthopédagogues, des denrées traditionnellement maigres dans le système public et que les oeillères mathématiques du gouvernement Couillard auront fini d'épuiser.

Et rebelote dans la consternation. La semaine dernière, le ministre Barrette a ravivé les épouvantails de la bonne pratique à l'occasion d'une étude publiée dans le numéro de décembre du Canadian Journal of Psychiatry. La prescription d'antipsychotiques chez les jeunes a augmenté de 30 % sur 4 ans et celle d'antidépresseurs, de 63 %.

Plus d'ordonnances pour sortir des placards les enfants souffrant de troubles graves du comportement ; pour accompagner la survie des enfants lourdement handicapés ; pour soigner des ados anxieux, avec des thérapies cognitivo-comportementales, mais aussi par des molécules dites inhibiteurs spécifiques du recaptage de la sérotonine, recommandations canadiennes à l'appui, revalidées en 2016.

Penser en termes d'enjeux, c'est savoir réfléchir au-delà des statistiques.

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Récemment, à Bordeaux, c'est le soir, il pleut. Utopia, c'est le nom du cinéma de répertoire où je me tape La mort de Louis XIV avec Jean-Pierre Léaud qui va mourir à l'écran durant plus de deux heures. Je serais assez masochiste pour avoir adoré cela, mais l'histoire n'est pas là.

Une fois le roi mort et autopsié, ses médecins se concertent à la manière de nos actuelles réunions hospitalières de morbidité et mortalité. Aurait-on dû intervenir autrement, lui couper sa jambe gangréneuse, lui faire une saignée de plus ? C'est toujours un grand moment de voir des médecins repenser leur pratique.

Au chevet du cadavre du Roi-Soleil, l'un des docteurs conclut le film avec force et conviction : 

« On fera mieux la prochaine fois. »

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Que faisons-nous actuellement avec nos prescriptions de psychostimulants, d'antidépresseurs et d'antipsychotiques chez les enfants et les adolescents ?

On fait au mieux, avec science et humanisme, tenant compte du contexte clinique et social qui est le nôtre.

Et on fera mieux la prochaine fois. Certainement.

D'ici là, le roi est mort, Dr Barrette.

Vive le roi !

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