Avertissement : ce texte ne s'adresse pas vraiment aux musulmans, qui n'y apprendront rien. Il voudrait simplement projeter un regard épuré des stéréotypes habituels sur une réalité peut-être peu familière à certains Québécois.Comme sociologue et comme citoyen, je me demande souvent : comment se sent-on quand on est étranger dans une société et différent de la majorité ?

Cette question se pose avec plus d'acuité aujourd'hui à propos de la minorité musulmane. À partir de ce que je crois en savoir et comprendre, j'ai essayé de me représenter moi-même en immigrant d'origine arabe, de religion musulmane et vivant à Montréal. Sous les traits d'un portrait-robot, si on veut. Voici ce que ça donne : 

« Dans l'ensemble, je suis content d'être venu au Québec. Je pense à ce qu'il m'a donné : la liberté, les droits, la démocratie, la chance de refaire ma vie. J'en suis reconnaissant. Aujourd'hui, je suis toujours animé de l'espoir qui m'a poussé à émigrer avec ma famille. Mais je vis aussi dans l'insécurité. Ç'a été long avant que je trouve un emploi et, pendant tout ce temps, nous vivions aux crochets de l'État, c'était gênant. Quand j'ai trouvé, j'ai mis du temps à m'adapter. Avec ma formation universitaire, me voilà commis dans un grand entrepôt...

Ma femme travaille dans un dépanneur. Nous menons une vie austère ; nos enfants demandent beaucoup. Nous pensons à leur avenir, nous essayons d'épargner. Nous tenons à ce qu'ils étudient longtemps pour qu'ils aient une vie meilleure que la nôtre. Nous en parlons tous les soirs après qu'ils sont couchés.

Nous sommes d'origine arabe [arabes et musulmans : pas chanceux !]. Comme d'autres, nous avons subi notre lot de rebuffades dans la rue, au magasin et ailleurs, ce qui nous incite à rester entre nous [et fait croire que nous refusons de nous intégrer].

« C'est dur quand les enfants nous racontent ce qui leur arrive parfois à l'école - surtout notre ado, qui s'est mis dans la tête de porter le hijab. Mais passons.

« Le pire, ce sont les soupçons qui pèsent sur nous à cause du terrorisme. Pourtant, ma femme et moi, nous ne sommes pas très religieux ; nous fréquentons irrégulièrement une mosquée et jeûnons pendant le ramadan, ça ne va pas plus loin. Je n'aime pas quand certains des nôtres se présentent dans les médias comme nos porte-parole alors qu'ils ne représentent rien. Ce sont souvent des excentriques qui nous font passer pour des attardés ou des excités. Nous sommes dispersés géographiquement, très diversifiés et peu organisés. C'est plus difficile de se faire entendre, de remettre les pendules à l'heure. J'ai déjà écrit aux journaux, sans succès.

« En même temps, c'est délicat de critiquer l'un des nôtres. Des minorités, c'est fragile, il faut être solidaire. En tout cas, en avoir l'air. Les personnes âgées exercent beaucoup de pression aussi sur les jeunes. Elles sont attachées aux traditions, c'est normal. Mais cela crée des tensions, c'est triste. Et puis, en matière de rapports homme-femme, c'est vrai qu'un certain nombre de musulmans ont reçu une éducation différente de ce qu'on vit ici. Qu'on leur laisse du temps, ça viendra.

« Nous nous inquiétons pour nos enfants. Ce serait si simple s'ils pouvaient devenir des Québécois comme les autres. Mais on ne peut pas les forcer à effacer tout ce qu'ils sont. Nous sommes entourés de familles qui sont là depuis longtemps. Leurs enfants sont adultes, bien instruits. Malgré tout, plusieurs en arrachent pour trouver un bon emploi. Ils ne comprennent pas. Comment leur expliquer ? Ils sont déçus, fâchés aussi, un peu contre tout le monde, y compris leurs parents : pourquoi les ont-ils emmenés ici ?

« Nous ne pensons pas à nous en aller, nous nous sentons québécois. Mais c'est compliqué d'être musulman. »

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