Voici le premier d'une série de deux textes sur les valeurs québécoises.Depuis l'élection du Parti québécois en 2012, il a beaucoup été question des valeurs québécoises. Mais cette réflexion ne fut pas très féconde parce qu'elle était biaisée.

Elle était commandée autant par un calcul partisan que par le souci de réaffirmer les principes de notre vie collective. Sinon, pourquoi jumeler cette thématique à celle de l'identité ? En plus, l'opération était ambiguë. Elle ne comportait aucune démonstration que « nos » valeurs étaient sérieusement menacées par « les immigrants » et les minorités.

Au contraire, des études sérieuses ont montré que la grande majorité des immigrants adhèrent plutôt bien aux valeurs fondamentales du Québec, à l'exception de l'égalité homme-femme - mais cette valeur s'en trouve-t-elle pour autant compromise au sein de la majorité ou dans l'ensemble de notre société ? La recherche d'un profit politique était évidente : quoi de plus rentable électoralement que d'éveiller des peurs parmi une population encline (souvent avec raison) à s'inquiéter de son avenir culturel ?

L'initiative gouvernementale s'est donc concentrée sur quelques valeurs, celles qu'on estimait les plus « rentables », à savoir la langue, l'égalité homme-femme et la laïcité. C'était faire bon marché de bien d'autres valeurs chères aux Québécois, notamment la liberté, la démocratie, la non-violence, la justice, l'égalité sociale et la quête de consensus.

Pourquoi ces valeurs ont-elles été écartées des débats ? C'est qu'on n'est pas arrivé à les souder à la fibre identitaire, ce qui les rendait moins utiles politiquement.

DES VALEURS « HISTORISÉES »

Une question importante se pose : en quoi les valeurs revendiquées comme étant « québécoises » le sont-elles vraiment ? Après tout, parmi celles que je viens d'évoquer, aucune n'est spécifique à notre société ; elles sont toutes universelles. Je crois néanmoins qu'elles portent une charge distinctive à cause de notre passé.

Les valeurs les plus célébrées dans une société sont celles qui ont été forgées dans son histoire. Elles y acquièrent une sensibilité particulière. Très souvent, ce sont des valeurs dont une société a été privée et qu'elle a difficilement acquises. Pensons à l'égalité des droits en France, à l'égalité raciale en Afrique du Sud, à la liberté dans les sociétés anciennement colonisées, à la démocratie là où la dictature a sévi, etc. C'est ce que j'appelle des valeurs historisées.

En ce sens, il existe bel et bien des valeurs québécoises et il n'y a pas de gêne à les affirmer comme telles, notamment dans notre charte des droits et libertés. C'est bien à tort que l'on verrait ici une opposition insurmontable entre l'universel et le particulier.

Chaque société ou nation s'approprie et apprête à sa façon les valeurs abstraites que l'on qualifie d'universelles.

CULTIVER NOTRE MÉMOIRE

Ce qui précède est une invitation pressante à relire constamment notre histoire pour mettre en relief les valeurs qui s'en dégagent. C'est la partie la plus riche, la plus précieuse de tout ce qui compose l'héritage ou le patrimoine symbolique d'une société. Ces valeurs doivent être célébrées, perpétuées et diffusées ; elles constituent le fondement de la vie collective. On ne doit pas hésiter non plus à en faire la promotion auprès des nouveaux venus, où elles trouveront d'ailleurs des échos parce qu'elles ne sont pas enfermées dans la singularité. Elles sont d'une grande richesse sur les plans à la fois civique et identitaire.

On voit par là que, contrairement à ce que certains prétendent, le pluralisme ne nous contraint nullement à « renoncer à ce que nous sommes » ; il nous invite au contraire à l'être davantage. Et il ne menace aucunement notre mémoire ; il appelle plutôt à la cultiver encore plus, dans ce qu'elle a de plus profond.

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