Une triste controverse oppose le ministère de l'Éducation et la Commission scolaire de Montréal (CSDM) concernant l'aide alimentaire aux élèves défavorisés. Mais elle a au moins l'avantage d'attirer l'attention sur ce problème extrêmement embarrassant pour une société comme la nôtre, qu'on dit folle de ses enfants.

UNE SITUATION GÊNANTE

Selon des données récentes provenant de diverses sources (entre autres : Bilan-Faim Québec, 2014), les banques alimentaires québécoises répondent annuellement à plus de 1,5 million de requêtes (repas ou collations). Entre 2008 et 2014, ces demandes ont augmenté de 23 %. Le nombre de nouveaux ménages en difficulté s'est accru de 12,6 % en 2013 et de 15,5 % en 2014. Pendant ces deux années, plus de la moitié des organismes d'aide alimentaire n'ont pu répondre à la demande (en hausse de 24 % par rapport à 2012). Parmi ces organismes, 12 % ont dû abandonner leurs activités, faute de ressources.

La proportion des enfants vivant dans des ménages frappés par l'insécurité alimentaire est de 16,7 %. Une étude conclut qu'« un grand nombre de Québécois vivent la faim au quotidien ». Les familles concernées ont des revenus si modestes que « la dépense alimentaire est la seule qui soit compressible ».

L'information la plus troublante concerne les enfants qui se présentent en classe sans avoir mangé : 28 % ne déjeunent pas, souvent pour cause de pauvreté.

LES MAUX ASSOCIÉS

De nombreuses études montrent que, chez les enfants sous-alimentés, le rendement scolaire est nettement inférieur. Les causes sont bien connues : comportements antisociaux, haut niveau de stress, manque de sommeil, difficulté de concentration, développement cognitif plus lent... L'obésité, cause d'une plus faible espérance de vie, est un trait fréquent. Ces enfants manifesteront plus tard diverses maladies comme le diabète, les cardiopathies, la dépression, des problèmes affectifs. Finalement, ce sont non seulement leur performance scolaire, mais aussi leur avenir même qui est compromis.

LA MALBOUFFE

Un autre problème, qui se combine souvent avec le précédent, consiste dans les mauvaises habitudes alimentaires. Ici, les effets sont en partie similaires, mais les causes principales sont différentes. La malbouffe, encouragée par la pression publicitaire, est « cool ». Elle est associée à une culture ambiante difficile à combattre. Le milieu familial est aussi en cause. Le souci de la saine alimentation est en déclin, et même le savoir élémentaire à la base de la préparation des repas. Dans les familles monoparentales, ou lorsque les deux conjoints travaillent, on a peu de temps pour cuisiner.

On est ici dans le domaine complexe et difficilement réformable des inégalités sociales, des contraintes et des habitudes de vie.

Les enjeux sont de taille. Les recherches sur les enfants québécois révèlent d'étonnantes insuffisances du côté des produits laitiers, des viandes, des fruits et légumes, en même temps qu'une surconsommation de fritures, de charcuteries et de sucreries. Encore là, les pathologies associées (dont le diabète et les maladies cardiaques) sont nombreuses.

Les spécialistes sont évidemment bien informés de toutes ces données, le personnel enseignant aussi. Mais pour moi, comme pour d'autres peut-être, le conflit qui vient d'éclater a provoqué une prise de conscience.

Les coupes effectuées par la CSDM sont peut-être « stratégiques », conçues principalement pour embarrasser le gouvernement. Il se peut aussi qu'elles découlent de restrictions excessives liées à la politique d'austérité. Il est difficile d'y voir clair. Mais quelle qu'en soit la cause, le geste répugne.

Dans la situation présente, le travail admirable (et souvent bénévole) de nombreux organismes de la société civile ne suffit pas. Il revient à l'État de lancer une grande offensive. Sinon, ces problèmes de santé vont s'amplifier, et les coûts à venir seront immenses.

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