Deux textes parus récemment, l'un dans La Presse (G. Archambault, 21 avril) et l'autre dans Le Devoir (Joseph Yvon Thériault, 21 avril), analysent le mouvement étudiant et concluent à son échec à cause de sa radicalisation. Un coup d'oeil sur le passé de la province permet d'insérer ces analyses dans une perspective plus large.

Une constante se dégage du passé québécois : le radicalisme n'arrive pas à s'imposer. Ce qu'on observe, c'est une succession de compromis. Cette voie est parfois simpliste. Devant deux options concurrentes, on peut être simplement tenté de trancher la poire en deux. Mais ce qui a souvent prévalu, ce sont des formules qui évacuent les deux options en présence pour une troisième qui non seulement brise l'impasse, mais crée une nouvelle dynamique. Le compromis n'est donc pas toujours synonyme de conservatisme ou de statu quo ; il peut être une philosophie pragmatique du changement.

Chaque fois qu'un mouvement a emprunté la voie radicale au Québec (vers la gauche ou vers la droite), la population s'est désistée. Le meilleur exemple, c'est la militarisation du mouvement patriote à la fin des années 1830. Ce virage a entraîné sa fin brutale, ce qui a hypothéqué pour longtemps l'émancipation de notre société. L'ultramontanisme de la seconde moitié du XIXe siècle a lui aussi connu l'échec, tout comme le ruralisme.

Plus près de nous, le radicalisme s'est encore manifesté dans les années 60-70 avec Parti pris, le FLQ et des groupes marxistes. Ces tentatives ont échoué, faute de soutien. Le syndicalisme s'est enflammé, mais sans provoquer les changements substantiels escomptés. En politique, l'indépendance (« pure et dure ») rallie une proportion relativement faible de l'électorat. Québec solidaire, connu pour certaines positions assez dures, plafonne à 10-14 %.

LA CONTINUITÉ

Notre passé offre des exemples de compromis en forme de démissions. Ce fut le cas avec l'option de la Survivance et ses concomitants politiques au lendemain des rébellions : un siècle plus tard, les francophones étaient devenus une sorte de prolétariat, leur présence politique était insignifiante, leur langue était bafouée, etc.

Mais à partir de 1960, surtout, la voie du compromis a pris d'autres formes. Dans l'ensemble, la Révolution tranquille porte bien son nom. Plus tard, la loi 101 a ouvert le français à un usage civique, tout en maintenant ses ancrages identitaires. Les formules de partenariat associées au projet souverainiste ont assuré la viabilité politique du projet. L'influence du néo-libéralisme a été tempérée par notre sensibilité sociale. Une pensée des équilibres imprègne l'esprit de l'interculturalisme.

Cette forme de compromis est hostile aux grandes ruptures. Elle peut néanmoins ouvrir d'importants horizons aux changements, mais dans les limites de la continuité.

Pourquoi cette culture politique ? Cette question appellerait une longue réponse ; je m'en tiens à quelques éléments.

Le Québec, petite nation minoritaire, a dû, au cours de son histoire, composer avec de nombreux facteurs indépendants de sa volonté.

Il a été exposé aux courants culturels divergents de l'Amérique et de l'Europe. Il a constamment été soumis à des forces économiques et politiques concurrentes. Il a dû assurer son devenir dans la différence, au sein du continent le plus puissant du monde. Dans ses moments décisifs, il a toujours été confronté à plus fort que lui. Enfin, contrairement à une opinion répandue, notre société a rarement été capable de construire de véritables consensus sur de grandes questions de fond.

Le Québec est une petite nation hybride, sous tension, ouverte à des vents contraires, très souvent confrontée à l'insécurité, toujours à la poursuite de grands rêves, mais qui peine à surmonter ses divisions. C'est à partir de ces données qu'on pourrait esquisser une réponse à la question.

Cela dit, notre société est parvenue à se développer, ce qui témoigne en faveur de cette culture politique. Là où cependant elle accuse ses limites, c'est dans le dossier des rapports avec le Canada. Ici, les formules radicales échouent, tout comme les formules de compromis. Et les divisions perdurent.

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