Les mythes sont les perceptions les plus profondément enracinées dans la culture d'une société. Ils nourrissent l'identité, la mémoire, les aspirations collectives. Ils permettent de construire des consensus, de mobiliser des citoyens, d'arbitrer les conflits. Une société se trouve donc gravement compromise quand ses mythes deviennent inopérants. Où en est le Québec de ce point de vue?

Le mythe est couramment assimilé à un mensonge (inoffensif ou dangereux). Mais le mythe, c'est aussi la croyance en des idéaux très nobles; on parle ainsi des grands mythes fondateurs de l'Occident que sont la liberté, l'égalité ou la démocratie.

Fondamentalement, le mythe porte une valeur qui est l'objet d'une forte adhésion parce qu'elle baigne dans l'émotion et la sacralité : pensons à l'égalité des races en Afrique du Sud ou l'égalité homme-femme en Occident.

Parmi les plus puissants mythes forgés dans l'histoire du Québec, il y a d'abord l'idée de la re-conquête : le sentiment que chaque génération doit s'employer à réparer la brisure provoquée par la conquête anglaise. C'est le moteur principal du désir d'affirmation et de relèvement national qui a depuis longtemps habité notre société, inspirant aussi bien la Survivance que la Révolution tranquille et le mouvement souverainiste.

Le deuxième mythe le plus puissant consiste dans le sentiment d'appartenir à une culture minoritaire source de fragilité et d'incertitude, d'où le devoir d'un engagement pour assurer son avenir. Au cours des dernières décennies, cet effort collectif s'est centré sur la langue française.

Des mythes en déclin?

Des indices suggèrent que ces deux ressorts symboliques perdent de leur emprise présentement. S'agissant de la re-conquête, on pense, bien sûr, à la déconfiture du Bloc québécois à Ottawa et à la défaite cuisante que vient de subir le Parti québécois.

Le mythe du minoritaire montre lui aussi des signes d'ébranlement. Dans un univers qui impose de plus en plus le bilinguisme et bientôt le trilinguisme, on s'interroge sur ce qu'il adviendra du rapport qui soudait traditionnellement la langue à l'identité nationale. Par exemple, des sondages et divers travaux montrent, parmi les jeunes, l'émergence d'un nouveau rapport à la langue, moins émotivement chargé.

Dans les deux cas, on peut tenir la mondialisation pour un facteur déterminant. Les mutations économiques et culturelles dont elle est porteuse créent un contexte d'instabilité et d'insécurité. Ces conditions ne sont défavorables à d'importants projets de changements politiques eux aussi porteurs d'inconnues.

Pour ce qui est du français, la mondialisation agit ici comme dans la plupart des nations : une forte contrainte doublée d'une grande séduction. Pour le moment, on observe dans plusieurs endroits - en France notamment - une résistance au plurilinguisme, mais ce combat est sans avenir.

Les indices qui pointent vers une désaffection de ces deux grands mythes sont préliminaires et ils n'autorisent pas de conclusions fermes. Néanmoins, si les évolutions qu'elles laissent entrevoir se confirmaient, le Québec serait confronté à l'une des perspectives les plus douloureuses qui soient pour une société, soit une sorte de traversée du désert où les vieux mythes directeurs sont devenus inopérants sans qu'ils ne soient encore remplacés.

On comprend pourquoi les mythes d'une société méritent attention. Mais les sciences sociales, qui ont beaucoup étudié les mythes dans les sociétés pré-modernes, se sont peu interrogées sur leur fonctionnement dans nos sociétés. C'est ce manque que j'ai voulu contribuer à combler avec mon dernier livre (Raison et déraison du Mythe, Boréal) en abordant diverses questions qui sont au coeur de notre actualité.

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