C'est ainsi qu'au fil des jours, des semaines et des mois, je me suis impliqué de plus en plus dans la vie du magasin. Je ne crois pas avoir de mérite particulier. Certains sont doués pour le sport, d'autres sont intellectuels. Moi, j'avais la bosse du commerce. Un don, en quelque sorte, que mes parents, surtout ma mère, m'avaient transmis. J'avais le sens des affaires et je pouvais voir des choses qui échappaient parfois aux autres.

on-service. Nous vendions en effet de l'essence, de marque Imperial Oil au début, puis Esso par la suite. L'essence se vendait à cette époque 38 cents le gallon (environ 10 cents le litre).

Le prix de l'essence ne subissait pas de fluctuations quotidiennes comme aujourd'hui. Le coût semblait avoir été fixé pour toujours. Il était donc inutile de l'annoncer, puisque tous les détaillants le vendaient le même prix. On ne voyait, en conséquence, jamais d'affiche près des stations pour indiquer le prix du carburant. Nous n'étions pas les seuls au village à offrir de l'essence.

Le restaurateur Gravel en vendait aussi, de marque White Rose. Il n'y avait pas beaucoup de voitures à Saint-Prosper, mais il y avait quand même un bon marché puisque plusieurs automobiles passaient par cette route qui menait à Saint-Tite, à La Tuque et au Lac-Saint-Jean.

Or, un jour, un nouveau commerce s'est installé à la sortie ouest du village, près de la route de Saint-Stanislas. Un restaurant dont le propriétaire avait décidé d'offrir également de l'essence. De marque Irving, cette fois-ci. Trois stations d'essence dans un même village, c'était beaucoup! Mon père m'avait dit que plus personne ne ferait d'argent avec l'essence puisque nous n'en vendrions pas assez. Je me suis alors mis à réfléchir. J'avais remarqué que les détaillants de Trois-Rivières proposaient le carburant à 37,9 cents le gallon. Je me suis dit que nous pourrions faire la même chose. Je suis donc allé chercher des planches de bois et j'ai confectionné deux panneaux de deux pieds sur deux pieds (environ 60 centimètres de côté). J'ai ensuite pris de la peinture noire et j'ai dessiné un gros «37», suivi d'un tout petit «.9». Puis je les ai mises dos à dos et je les ai installées près de la route, comme un chevalet. Mon père m'a laissé faire même s'il était plus que sceptique quant aux résultats d'une telle expérience. Il faut dire qu'il n'avait jamais fait de publicité à l'intérieur ou à l'extérieur du magasin.

Or, j'ai eu raison. Non seulement l'arrivée d'un troisième détaillant n'a pas diminué la quantité d'essence que nous vendions, mais le volume a même augmenté!

Une vie simple

Pour nous, de Saint-Prosper, ces années qu'on a appelées celles de la grande noirceur, nous ne les avons pas du tout vécues comme une période d'obscurantisme. Non pas que tout allait bien. Il y avait évidemment des problèmes. Mais la vie était simple. Nous avions des valeurs essentielles grandement dictées par le clergé. Il y avait aussi cette volonté du Québec rural d'être autonome. Les gens se soutenaient et réglaient leurs problèmes entre eux, en se serrant les coudes. On en demandait le moins possible au gouvernement. Les gens préféraient même qu'il n'intervienne pas trop dans leurs vies.

Je sais! Exprimé de cette façon, voilà qui ressemble au discours des gens de droite. Mais dans notre patelin, les citoyens ignoraient tout de la droite et de la gauche. S'il y avait quelque chose à régler, on le réglait. C'était la vie. C'était tout.

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Les 10 commandements de Frigon



Durant ma carrière, je me rends maintenant compte que j'ai toujours fait ce que j'ai souhaité. Mais en bout de piste, qu'ai-je appris?

À mon sens, cela tient en quelques mots. D'abord, tous les chefs d'entreprises doivent se soucier de leurs employés. Ils sont la force de toute compagnie. Ils sont toujours en première ligne. Ce sont elles et eux qui, dans les magasins, accueillent et servent les clients avec le sourire et répondent avec compétence à leurs besoins.

Ensuite, les ententes entre deux personnes ou deux groupes devraient toujours faire deux gagnants. C'est la seule façon d'assurer que tout fonctionne. Même s'il vous faut parfois laisser aller des choses, même s'il vous faut faire quelques concessions, une entente gagnant-gagnant est toujours préférable. Dites-vous d'ailleurs que si vous abdiquez sur certains points, votre vis-à-vis en fera autant. Comme dans un couple, il est souvent préférable de mettre un peu d'eau dans son vin pour atteindre un objectif qui est beaucoup plus important.

Et, au-delà de tout cela, il faut être passionné par ce que vous faites. C'est vrai dans les affaires, mais je crois que c'est également vrai quel que soit l'emploi que vous occupez ou le loisir qui vous intéresse. Moi, j'ai toujours manoeuvré pour aimer mon travail.

Ensuite, c'est une question de pif et de confiance en vous. D'ailleurs, je m'étais un jour amusé à établir quels devraient être les 10 commandements d'un entrepreneur. Il n'y a peut-être là rien de nouveau, mais ce sont des lignes qui m'ont continuellement guidé dans mes choix et mes décisions de gestionnaire.

1. Il faut aller au bâton quand la situation l'exige. Ceux qui n'y vont pas ne sont jamais retirés sur trois prises, mais ils ne frappent jamais de circuits non plus.

2. Il ne faut jamais remettre un problème au lendemain en espérant qu'il se résoudra de lui-même.

3. Il faut avoir un plan B en réserve, au cas où le plan original ne fonctionne pas.

4. Il faut être capable de réfléchir une heure par jour à long terme, en oubliant les problèmes quotidiens ou à court terme.

5. Il faut savoir s'entourer de gens compétents qui sont assez forts pour prendre votre place en tout temps.

6. Si vous réalisez que vous faites fausse route, ne vous entêtez pas, admettez votre erreur et recommencez.

7. Chacune de vos actions doit s'inscrire dans un contexte à long terme; toute solution à court terme sera futile si elle crée un autre problème à long terme.

8. Apprenez à vivre avec vos décisions et à en tirer le meilleur parti.

9. Votre «pif» est votre meilleur allié. Si vous devez décider entre ce que votre pif vous dit de faire et ce qu'une

étude vous propose, allez-y avec votre pif.

10. Traitez vos employés avec respect et dignité; ils seront vos meilleurs alliés.

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