La semaine dernière, le Consortium international des journalistes d'enquête effectuait un coup de maître en divulguant des renseignements concernant 122 000 contribuables de 170 pays faisant affaire avec 10 paradis fiscaux. Cette enquête, d'une ampleur jamais égalée, est le fruit d'une extraordinaire coopération entre des journalistes de 37 médias.

Elle contribue à lever le voile sur le problème des paradis fiscaux, de l'évasion et de l'évitement fiscal. Il s'agit d'un véritable fléau qui rogne les démocraties et prive les États des ressources nécessaires à leur bien-être. Ces pratiques nourrissent le cynisme de la population et la frustration des gagne-petits et de la classe moyenne qui voient leurs fardeaux s'alourdir, alors que les services sont de plus en plus rationnés.

A l'échelle internationale, l'enjeu est de taille. L'association Tax Justice Network estime qu'entre 21 000 et 32 000 milliards de dollars échapperaient ainsi au fisc.

Les 10 pays visés par la fuite à l'origine de l'enquête ne seraient que la pointe de l'iceberg. En effet, on compte plus de 40 paradis fiscaux. En outre, les informations répertoriées ne concernent que des transactions effectuées par des individus à l'exclusion de celles des sociétés qui transigent aussi avec ces institutions offshore.

Malgré son apport à la vitalité de nos démocraties, la liberté de presse ne viendra malheureusement pas, à elle seule, à bout de cette gangrène. Les États ont aussi un rôle à jouer. Or, leur réelle volonté d'agir en ces matières laisse perplexe. Au plus fort de la crise de 2008, n'avaient-ils pas juré de mater la bête et de s'attaquer tant aux dérives des systèmes financiers, qu'à la question des paradis fiscaux? Peu de choses ont été faites depuis. Voilà peut-être qui explique que les personnes à l'origine de la fuite aient préféré s'en remettre à la presse plutôt qu'aux autorités politiques.

Cinq ans plus tard, l'OCDE peine toujours à s'entendre sur une définition des paradis fiscaux! L'organisme navigue avec une liste noire et une liste grise de pays acceptant de se soumettre à des obligations de divulgation nettement trop minimalistes, puisque la fraude doit être démontrée, avant qu'elles n'entrent en application.

Le Canada, dont 450 contribuables apparaissent sur le disque dur à l'origine de l'enquête, a bien sûr demandé qu'on lui transmette la liste de ses ressortissants visés. C'est de la poudre aux yeux. À juste titre, les entreprises de presse vont vouloir protéger leurs sources, pour protéger la liberté de presse.

Le Canada serait plus convaincant s'il se concertait avec d'autres pays pour exercer des pressions diplomatiques de façon à briser l'opacité entourant les pratiques des sociétés offshore. Qu'attend-il pour demander la liste des propriétaires de ces sociétés vouées à l'évasion fiscale? Qu'attend-il pour revoir les ententes complaisantes qu'il a lui-même signées avec des paradis fiscaux? Qu'attend-il pour s'assurer que sa propre législation réponde aux meilleures pratiques en matière de transparence et de divulgation? Qu'attend-il enfin pour remettre en question certaines pratiques considérées légales, mais qui favorisent l'évitement fiscal et contreviennent aux règles d'équité entre tous les contribuables?

On a bien vu les objectifs ambitieux que s'est fixés le gouvernement Harper dans son dernier budget au chapitre de la lutte à l'évasion fiscale. Bien que ces mesures l'honorent, l'approche perd en crédibilité quand on constate qu'il renonce lui-même à se donner les moyens de ses ambitions. Une lutte efficace à l'évasion fiscale est incompatible avec les 3000 postes coupés à l'Agence du revenu et la perte d'expertise engendrée par la fermeture du bureau de Montréal.

Souhaitons simplement que la pression populaire soit telle qu'elle force la nécessaire concertation internationale et qu'elle secoue la volonté politique d'agir pour éradiquer ce fléau, qui alimente le mépris de l'État, contrevient à l'équité et assassine la démocratie à petit feu.

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