Depuis longtemps, nous savons que les inégalités de revenus affectent le tissu social. Elles génèrent des écarts extrêmement choquants entre les populations riches et pauvres en termes d'espérance de vie, de maladie, de décrochage et de performance scolaire, d'accès aux études supérieures, de problèmes sociaux, d'endettement, voire de violence et d'incarcération, pour ne soulever que quelques indicateurs largement documentés.

À ce triste portrait social s'ajoutent des données plus troublantes encore concernant la mobilité sociale. Aux États-Unis, par exemple, le prix Nobel d'économie Joseph Stiglitz démontre que seulement 58% des enfants du quintile le plus pauvre ont une chance d'améliorer leur sort à l'âge adulte, comparativement à 75% au Danemark et à 70% en Grande-Bretagne, pourtant souvent montrée du doigt pour ses divisions de classes! Ici, on est à des années-lumière de la recherche d'une stricte égalité. On parle simplement d'égalité des chances. Voilà qui en dit long sur les effets corrosifs des inégalités.

Puis, à la faveur de la crise économique de 2008, des organismes tels l'OCDE, et même la Banque mondiale et le FMI, ont reconnu que la montée des inégalités avait été un des déclencheurs certains de cette crise et que oui, les inégalités plombent les perspectives de croissance et de reprise économique.

En effet, depuis les années 80, les choses ont radicalement changé. La forte croissance d'après-guerre s'est essoufflée. Surtout, les classes moyennes, qui avaient été les grandes bénéficiaires de cette croissance, vont connaître une stagnation, quand ce n'est pas une régression de leurs revenus. Le 1% des personnes les plus riches va accaparer une part de plus en plus imposante et injuste du revenu national. C'est ainsi qu'aux États-Unis, ce 1% touche aujourd'hui 17% du revenu national, comparativement à 12% en 1982.

Loin d'être en reste, le Canada voit croître les inégalités à une vitesse qui dépasse même le rythme observé chez nos voisins du Sud. Dans les années 80, la fiscalité et les programmes sociaux canadiens arrivaient à compenser 70% des écarts de revenus générés par le marché. Aujourd'hui, les baisses d'impôts, le traitement privilégié accordé aux revenus spéculatifs et la dégradation des programmes sociaux ont rabaissé à 40% l'effet correcteur des politiques publiques. Le Canada figure maintenant au 21e rang sur 34 parmi les pays de l'OCDE pour ce qui est du taux de pauvreté!

Au Québec, la montée des inégalités est moindre, bien qu'elle connaisse aussi une accélération qui devrait nous inquiéter. Le 1% le plus riche capte maintenant 11% de l'ensemble des revenus comparativement à 7% il y a 25 ans. Durant la même période, les revenus avant impôts et transferts de ce petit groupe se sont accrus de 114%, alors que ceux des 99% restants n'ont augmenté que de 24% en un quart de siècle. D'où l'importance d'un État agissant, capable d'ajuster sa course vers le retour à l'équilibre budgétaire.

La montée des inégalités, avec la kyrielle de problèmes et de fractures qu'elle provoque, n'est pas inéluctable. Elle dépend largement des choix politiques qui sont effectués. Ces choix sont faits quotidiennement par nos parlements à travers les budgets, la fiscalité et un ensemble de services, de programmes et de lois qui touchent l'éducation, la sécurité du revenu, la santé, le travail et l'emploi, les syndicats, l'environnement, le développement des régions, etc.

On ne peut éternellement se scandaliser des inégalités sans accepter de jeter un regard neuf sur les choix politiques qui sont faits en notre nom.

Il est grandement temps de s'attaquer au mythe qui veut qu'un État social fort grève la croissance économique, alors que les plus récentes études d'organismes, qu'on ne peut soupçonner de gauchisme, démontrent le contraire.

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